DOLLAR : LA FIN D'UN RÈGNE ?

Paris / La Gazette
Pendant un siècle, le dollar a régné en maître absolu. Cent jours sous Trump ont suffi à fissurer cet édifice. Quand Donald Trump a fait son grand come-back à la Maison-Blanche en janvier 2025, le monde a retenu son souffle, prêt à encaisser la tempête. Et Trump, fidèle à sa réputation, n’a pas déçu.
En moins de cent jours, c’est tout l’édifice de l’économie mondiale qui s’est mis à tanguer, et avec lui son pilier central — le dollar américain — pour la première fois depuis des décennies sérieusement menacé. Cette devise qui trônait au cœur des échanges, des réserves et des crédits planétaires, n'apparaissait plus aussi intouchable.
Pourquoi le dollar a-t-il longtemps été intouchable ?
Le statut doré du billet vert, ce n'était pas juste la vitrine de la puissance yankee. C'était l’incarnation de ce rêve américain d'exception : armée la plus balèze, économie la plus profonde, système financier le plus sûr. Le dollar, c'était un pari sur l'Amérique comme garante du grand ordre mondial.
Grâce au dollar, l’Amérique a pu vivre à crédit sans se faire saigner : dépenser plus qu’elle ne gagnait, combler des déficits abyssaux tout en maintenant des taux riquiquis. Le monde entier lui refilait ses économies à prix cassé, convaincu que, quoi qu’il arrive, les States tiendraient la baraque.
Mieux encore : chaque crise, chaque bourrasque sur les marchés ne faisait que renforcer le dollar. C'était devenu un réflexe pavlovien : à la moindre alerte, les capitaux filaient se planquer dans les bons du Trésor et les caisses américaines. Le dollar, c’était la planque ultime.
Comment Trump a dynamité le mythe du dollar
Sauf que voilà : Trump a pris le contre-pied de tout ce qui cimentait cette suprématie :
- Il a démoli les accords commerciaux à la pelleteuse.
- Insulté ses alliés comme un marchand de poisson.
- Torpillé les institutions internationales.
- Déclenché des guerres tarifaires contre le Canada, l’Europe, le Japon.
- Balancé des doutes sur l’engagement américain vis-à-vis de l’OTAN.
- Tenté de faire la peau à l’indépendance de la Fed.
- Laissé planer l’ombre d’un défaut de paiement, voire d’une restructuration de la dette.
Et surtout, pour la première fois depuis belle lurette, les investisseurs ont capté qu'une crise aux États-Unis ne rimait plus forcément avec un envol du dollar.
Quand les marchés ont flippé face aux guerres commerciales, le dollar n’a pas joué son rôle de bouée de sauvetage. Pire, il a bu la tasse. La vieille fable du dollar "refuge ultime" s’est brutalement éraillée.
Pourquoi le dollar tient encore debout (mais pour combien de temps ?)
Pourtant, le billet vert fait toujours de la résistance. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas d’alternative crédible.
Le yuan chinois ? Manipulé à la baguette par le Parti. L’euro ? Un géant aux pieds d’argile, incapable d'aligner une politique budgétaire commune. Yen, livre sterling, franc suisse ? Trop petits, trop locaux. Le bitcoin ? Un joujou de geek, pas une monnaie pour le business mondial.
Les fondamentaux du dollar tiennent encore : état de droit, profondeur du marché, poids économique, omniprésence dans les transactions internationales. Mais attention, tout ça s’effrite lentement... à cause des folies de son propre patron.
L’Amérique sans ses mécènes étrangers
Le vrai drame ne viendra pas d’un krach brutal du cours du dollar, mais d’une lente asphyxie des flux de capitaux. Si les étrangers lèvent le pied sur l’achat des bons du Trésor, Washington ne pourra plus financer son train de vie de nabab à prix d’ami.
Et aujourd’hui, l’Oncle Sam est accro à l’argent étranger comme jamais : la dette publique caracole à 36 000 milliards de dollars et grimpe encore. Trump, de son côté, promet des baisses d’impôts XXL et des dépenses pharaoniques pour la Défense et les infrastructures. Résultat : le trou budgétaire va se creuser façon gouffre.
Si les alliés qu’il a copieusement insultés ferment un peu le robinet — ne serait-ce que 10 % de moins d’achats d’actifs américains —, les USA auront un choix cornélien : laisser flamber les taux d’intérêt (et flinguer l'économie) ou faire tourner la planche à billets. Et là, attention au raz-de-marée : le dollar pourrait valser sévère.
Le dollar peut-il vraiment perdre son statut de monnaie mondiale ?
À court terme, soyons clairs : pas question. Aucun autre billet, pour l’instant, n’est taillé pour lui piquer la couronne. Mais ce qui se joue sous nos yeux, c’est une érosion discrète, progressive, de l’empire du dollar :
- Baisse de sa part dans les réserves de change.
- Déclin de son usage dans les paiements commerciaux.
- Essor des alternatives : règlements en yuans, en euros, en monnaies régionales.
Le plus important ? L’affaiblissement du dollar ne sera pas qu’une affaire de devises. Ce sera une remise en cause profonde du système mondial, celui où les États-Unis dictaient jusqu’ici les règles du jeu.
Quel avenir pour le dollar : trois scénarios sur la table
Scénario 1 : l’érosion tranquille
C’est le plus crédible. Pas de krach brutal, mais un lent glissement.
C’est d’ailleurs ce qu’on voit déjà : malgré les boulettes de Trump et la casse de l’ordre international, le dollar garde la main — mais sa domination s’effrite. Début 2000, il représentait 70 % des réserves mondiales. Aujourd’hui, il navigue autour de 59–60 %, selon les derniers chiffres du FMI.
Dans le commerce aussi, ça bouge : les paiements en yuans explosent entre la Chine et les pays émergents ; l’Inde, le Brésil ou l’Arabie Saoudite signent des accords pour utiliser leurs propres devises dans les contrats pétroliers.
Concrètement :
- Les USA devront payer plus cher pour emprunter.
- Le dollar sera moins solide en cas de coup de tabac sur les marchés.
- Washington perdra un bout de son levier d’influence économique mondial.
Mais attention : à cause de l’inertie et faute de vrai concurrent, le dollar restera numéro un encore des années, voire des décennies.
Scénario 2 : la grande fuite stratégique
Moins probable, mais pas à exclure : une offensive coordonnée des grandes puissances pour se détourner du dollar.
On voit déjà les prémices :
- Pékin et Moscou privilégient les règlements en devises locales.
- Les BRICS planchent sur une super-monnaie de réserve basée sur un panier de monnaies et de l’or.
- Riyad agite l’idée de vendre son pétrole en yuans ou en roupies.
Si ces acteurs passent à l’acte sérieusement, l’hégémonie du dollar pourrait prendre un coup sévère.
Conséquences :
- Fin du privilège américain d’exporter son inflation.
- Hausse des taux d’intérêt domestiques.
- Déficit public ingérable sans coup de rabot.
- Tempêtes monétaires à prévoir.
Scénario 3 : la crise made in USA
Le scénario cauchemar : un choc déclenché par un méga-bug interne aux États-Unis. Genre crise politique sévère, manipulations du Trésor, ou perte d’indépendance de la Fed.
Trump joue déjà avec le feu en tentant de mettre la main sur la banque centrale. Et son budget dernier cri laisse planer un risque de défaut sur la dette publique.
Un seul "accident technique" — un défaut même partiel — suffirait à torpiller la crédibilité du dollar.
À la clé :
- Panique sur les marchés.
- Dégringolade du dollar.
- Effondrement du marché des Treasuries.
- Récession mondiale façon années 30.
Un scénario noir, certes improbable, mais désormais plus tabou. Ce qui sauve (encore) la mise ? L'absence de vraie alternative crédible au billet vert.
Qui ramasserait la mise si le dollar faiblissait ?
- La Chine, qui verrait le yuan monter en puissance en Asie et en Afrique.
- La Russie, qui accélérerait la dédollarisation de son économie.
- L’Europe, qui pourrait tenter de muscler l’euro — à condition de sérieusement réformer sa gouvernance économique.
- Les pays émergents, qui s’offriraient une bouffée d’air en desserrant l’étau du dollar sur leurs dettes.
Le nouveau visage du monde post-dollar
Un monde où le dollar baisserait la tête, ce serait la fin du "one size fits all". Place à une mosaïque de zones monétaires :
- L'Asie autour du yuan.
- L'Europe autour de l’euro.
- L'Amérique autour d’un dollar affaibli.
- L'Amérique latine, en mode débrouille.
Résultat : frais de transaction en hausse, commerce international plus complexe, marchés plus nerveux.
En clair : moins de globalisation, plus de régionalisation. Et dans cette jungle émergente, les États-Unis devront apprendre à jouer... sans toujours être le chef d’orchestre.
Prévisions pour le dollar sur les 3 à 5 prochaines années
2025–2026 :
- Une volatilité à fleur de peau.
Sous le double feu d’une tourmente politique intérieure (réformes trumpiennes, bras de fer probable avec le Congrès) et de l’instabilité extérieure (retour des guerres commerciales), le dollar restera sous pression. - La Fed en garde-fou.
Si la Réserve fédérale parvient à conserver ne serait-ce qu’une once d’indépendance, la hausse des taux limitera la casse et évitera une dégringolade brutale du billet vert face au panier des grandes devises. - Une érosion ciblée.
La perte d'influence du dollar sera surtout visible sur des segments spécifiques : règlements commerciaux entre pays des BRICS, échanges sur les marchés de matières premières.
2027–2028 :
- L’accélération de la dédollarisation.
L’Amérique latine, l’Afrique, et une partie de l’Asie passeront à la vitesse supérieure, multipliant les règlements en yuans, en euros ou en monnaies locales, dans le cadre d'accords régionaux. - Un tournant historique dans les réserves mondiales.
Le poids du dollar dans les réserves de change devrait tomber sous la barre des 55 %. Un symbole fort, marquant l'irréversibilité de la tendance. - La montée en puissance des alternatives.
La Chine, l’Inde, la Russie et les pays du Golfe activeront sérieusement leurs projets de systèmes de paiements indépendants de SWIFT.
2029–2030 :
- L’avènement du "multipolarisme monétaire".
Le monde entrera dans une ère de pluralité monétaire. Le dollar restera en pole position, mais il devra désormais partager l’affiche avec plusieurs zones régionales fortes. - Le coup de bambou sur la dette américaine.
Si Washington continue de creuser son déficit sans frein, le coût du service de la dette explosera. À terme, c’est la stabilité financière même des États-Unis qui sera en jeu.
Quelle trajectoire pour le dollar ?
- À l’horizon 3–5 ans, le dollar restera la devise reine, mais son statut "exceptionnel" s’effritera peu à peu.
- Le monde bascule vers une architecture monétaire multipolaire.
- Pas de krach du dollar, mais une lente perte de privilèges.
- Le danger n’est pas à Pékin ou à Moscou, il est à Washington.
C’est la politique intérieure américaine, plus que ses rivaux étrangers, qui fragilise le socle du dollar.
Trump peut-il faire tomber le dollar ?
Oui… et non.
En cent jours, Trump a déjà sérieusement sapé la crédibilité des États-Unis et entamé l’aura du dollar. Mais attention : les fondamentaux de l’Amérique restent solides. Il faudrait des années de politique erratique et l’émergence d'une alternative sérieuse pour voir le dollar vraiment s'effondrer.
Aujourd'hui encore, l’Amérique vit à crédit sur la confiance du monde.
Si cette confiance venait à se briser, alors oui, le dollar tomberait.
Et l’ironie, c’est que ni la Chine, ni la Russie, ni les BRICS ne sont capables, seuls, de détrôner le billet vert.
Seule l'Amérique peut saborder son propre trône.
Et, il faut le dire, Donald Trump a déjà enclenché la mécanique.