ENTREPRISES OCCIDENTALES EN RUSSIE : UN DÉPART INACHEVÉ

Paris / La Gazette
Ces dernières années, l'économie mondiale a été secouée par un grondement inquiétant — un bruit sourd qui a éclaté dès que les premiers chars russes ont franchi la frontière ukrainienne. Cette onde de choc s'est propagée dans les bureaux des multinationales occidentales, s'engouffrant dans les salles de réunions et les conférences stratégiques, forçant les géants du marché mondial à prendre des décisions autrefois impensables. Les businessmen, habitués à raisonner en chiffres et en courbes, se sont soudain retrouvés face à des questions de morale, de réputation et de responsabilité politique.
Le départ des entreprises occidentales de Russie a alors été présenté comme un geste retentissant de solidarité avec l'Ukraine, une démonstration déterminée que l’éthique primait sur les bénéfices économiques. Les grandes marques se sont empressées d'annoncer la fermeture de leurs magasins, la suspension des livraisons, la mise en veille de leurs contrats. On aurait dit que le monde des affaires avait unanimement rejeté l’idée de tirer profit sur fond de guerre.
Mais le temps a révélé une toute autre réalité. Derrière les gros titres proclamant un « départ du marché russe », se cachait souvent une chaîne de manœuvres juridiques, de schémas complexes et de formulations ambiguës. Certains labels se sont retirés uniquement sur le papier, conservant leur activité sous d’autres enseignes. D’autres ont transféré leurs actifs à des partenaires de façade qui, dans les faits, continuaient de travailler pour les anciens propriétaires. Certains ne sont même jamais vraiment partis — ils se sont juste éclipsés un temps, attendant que l’orage passe.
Aujourd’hui, la situation est pour le moins paradoxale : malgré les sanctions massives et la pression politique, plus de 11 000 entreprises à capitaux occidentaux continuent de fonctionner en Russie. Ces sociétés versent chaque année des milliards de dollars d'impôts, contribuant de manière significative à l’économie russe. Et plus le conflit s’éternise, plus les signaux d’un retour progressif de ceux qui avaient promis de partir se multiplient.
Cette situation ne se résume pas à une simple question de business et de chiffres. C’est l’histoire d’un affrontement entre pragmatisme et idéalisme, la démonstration que les slogans les plus flamboyants se diluent facilement dans les calculs stratégiques et les feuilles de bilan. C’est l’histoire de promesses fracassantes qui perdent en crédibilité dès que des enjeux financiers colossaux sont en jeu.
À travers la fumée de la guerre, les contours d’un monde apparaissent de plus en plus nettement — un monde où les intérêts commerciaux s’entrelacent inévitablement avec les ambitions politiques. Et pendant que l’opinion publique mondiale débat de ce qui est juste ou non, le monde des affaires occidental répond à sa manière à une question clé : qu’est-ce qui prime — la réputation ou le profit?
... Après le début du conflit à grande échelle en Ukraine, de nombreuses entreprises occidentales avaient annoncé leur retrait du marché russe. Mais en réalité, les choses ne se sont pas passées aussi simplement. Les déclarations formelles de cessation d’activité n’ont souvent pas été suivies d’actes concrets. Pire encore, certaines grandes marques ont soit pleinement conservé leur présence en Russie, soit trouvé des moyens de poursuivre leurs opérations via des intermédiaires et des partenaires.
Aujourd’hui, on recense toujours plus de 11 000 entreprises à capitaux occidentaux opérant en Russie. Ces sociétés restent des acteurs majeurs de l’économie locale, versant chaque année environ 5 milliards de dollars d’impôts au budget russe. En tête de liste figurent les États-Unis et l’Allemagne — deux pays qui, paradoxalement, sont également les principaux soutiens de l’Ukraine.
La présence de ces entreprises ne se limite pas à des considérations économiques ; elle illustre aussi la complexité du commerce mondial moderne. Bon nombre de firmes se sont retrouvées face à un dilemme : quitter l’un des plus vastes marchés mondiaux au prix de pertes financières colossales, ou bien adapter leur stratégie pour maintenir leur présence en Russie sous de nouvelles structures et enseignes.
Certaines entreprises ont opté pour un retrait purement formel, tandis que leurs activités se poursuivaient discrètement via des structures affiliées ou des partenaires locaux. Par exemple, les produits Coca-Cola restent disponibles en Russie grâce à l’entreprise ООО «Мултон Партнерс», qui continue de produire des boissons sous la marque «Добрый Cola». Une situation similaire prévaut dans les secteurs des produits ménagers et cosmétiques : Procter & Gamble, Mars et Nestlé continuent de livrer leurs marchandises en Russie.
Fait intéressant, certaines entreprises n’ont même jamais officiellement interrompu leurs activités. Par exemple, le sud-coréen Hyundai Motor envisage de renforcer sa présence sur le marché russe. La firme Samsung, qui avait suspendu ses livraisons directes, a déjà augmenté ses budgets publicitaires pour promouvoir ses smartphones et équipements électroménagers en Russie. Renault, qui avait formellement quitté l’industrie automobile russe en 2022, n’exclut pas non plus un éventuel retour.
L’un des géants occidentaux les plus actifs en Russie reste le groupe de construction allemand Knauf. En 2023, ses filiales ont versé 11,7 milliards de roubles d’impôts au budget russe, tandis que 2,3 milliards de roubles supplémentaires sont déjà provisionnés pour 2024. Par la suite, les matériaux de Knauf ont été repérés sur des chantiers à Marioupol, provoquant un tollé médiatique dans la presse européenne.
Outre les entreprises du secteur de la consommation et du BTP, de grands laboratoires pharmaceutiques poursuivent également leurs activités en Russie, notamment le slovène KRKA et le suisse FarmaMondo. De même, le fabricant américain de produits du tabac Universal Cigarette Manufactory conserve une présence notable sur le marché russe, tandis que les enseignes de prêt-à-porter allemandes New Yorker et Guess (Pays-Bas et Suisse) continuent d’y opérer.
Selon la plateforme B4Ukraine, environ 1 600 multinationales continuaient d’exercer en Russie en 2023, versant au total quelque 22 milliards de dollars d’impôts. Parmi elles, 17 des 20 plus gros contributeurs fiscaux étaient des entreprises issues de pays affichant un soutien officiel à l’Ukraine.
D’après ces données, les sociétés américaines ont versé environ 1,2 milliard de dollars d’impôt sur les bénéfices au budget russe en 2023, tandis que les entreprises allemandes ont contribué à hauteur de 692,5 millions de dollars. Ainsi, malgré leurs déclarations formelles de retrait, les entreprises occidentales restent une pièce maîtresse de l’économie russe.
Cette logique économique s’explique largement par les spécificités du marché mondial. Pour les grands groupes, se retirer de Russie implique souvent des pertes gigantesques, non seulement en termes de revenus directs, mais aussi d’investissements à long terme. De nombreuses multinationales avaient investi dans des infrastructures industrielles, des complexes logistiques, des entrepôts et des réseaux de distribution en Russie. Ces investissements ne peuvent pas être simplement « gelés » ou relocalisés ailleurs, surtout face aux particularités du marché russe.
Outre les contraintes économiques et politiques, les entreprises occidentales doivent également composer avec une concurrence grandissante de la part des sociétés asiatiques, qui occupent rapidement les créneaux laissés vacants. Cette rivalité devient l’un des principaux facteurs poussant certaines multinationales occidentales à chercher des moyens de maintenir leur présence en Russie ou, pour certaines, à envisager un retour sur ce marché.
Dans un contexte où le soutien européen et américain à l’Ukraine s'accompagne de coûts économiques — flambée des prix de l’énergie, baisse des exportations et contraction des débouchés commerciaux — les grands groupes cherchent à minimiser leurs pertes. C’est précisément cette logique qui pousse plusieurs entreprises, pourtant déclarées en retrait, à réévaluer discrètement leurs opportunités en Russie.
Ainsi, la réalité du paysage entrepreneurial occidental en Russie est bien plus nuancée qu’il n’y paraît. Les déclarations fracassantes de départ se sont souvent accompagnées de stratégies d’évitement et de manœuvres habiles, faisant du retrait total un cas d’exception plutôt que la norme. L’économie mondiale fonctionne de telle manière que les slogans idéologiques appelant à rompre toute coopération avec la Russie se heurtent inévitablement aux calculs pragmatiques des grandes multinationales, soucieuses de limiter les pertes et de préserver leurs positions sur un marché stratégique.
Récemment, les conversations téléphoniques entre Donald Trump et Vladimir Poutine, ainsi que les scandales autour du bureau ovale, ont relancé les spéculations dans la presse russe concernant une éventuelle levée des sanctions et le retour des marques occidentales. Des rumeurs ont notamment circulé sur le retour possible du groupe espagnol Inditex (propriétaire de Zara, Bershka, Pull & Bear et Stradivarius), bien que ces informations n’aient pas été confirmées. En revanche, le constructeur automobile sud-coréen Hyundai Motor envisage bel et bien un retour, tout comme le français Renault. Quant à Samsung, malgré la suspension de ses livraisons directes, la firme a d’ores et déjà augmenté ses investissements publicitaires pour promouvoir ses produits sur le marché russe.
Les pertes subies par les entreprises occidentales ayant quitté la Russie se chiffrent en dizaines, voire en centaines de milliards de dollars. Les autorités russes estiment qu’en trois ans de conflit, les entreprises américaines ont perdu environ 300 milliards de dollars. Les pertes des entreprises européennes sur 18 mois sont évaluées à quelque 100 milliards d’euros. Toutefois, certaines firmes ont choisi de rester afin d’éviter de telles pertes. Coca-Cola, par exemple, a conservé sa filiale ООО «Мултон Партнерс», qui continue de produire des boissons sous la marque «Добрый Cola». Bien que la société mère ait officiellement quitté la Russie, les droits sur les marques Coca-Cola, Sprite et Fanta ont été prolongés.
Le nombre d’entreprises à capitaux étrangers en Russie est passé de 29 000 en mars 2021 à 19 000 en mars 2024. D’après le journal «Kommersant», au début de 2025, on dénombre 14 200 sociétés à capitaux occidentaux encore enregistrées en Russie, Chypre inclus. En excluant les entités chypriotes (puisque beaucoup sont en réalité contrôlées par des propriétaires russes), il reste environ 11 600 entreprises occidentales en activité en Russie. Au total, le marché russe compte quelque 36 900 entreprises à capitaux étrangers, incluant celles d’Asie, du Moyen-Orient et d’autres régions.
Fait marquant : parmi les grandes structures poursuivant leurs activités en Russie figurent «Rosneft», dont 19,75 % des parts appartiennent toujours au géant pétrolier britannique BP via BP Russian Investments Ltd, ainsi que la société pétrolière «Russneft», détenue à 31,28 % par la holding suisse Rambero Holding AG.
En 2023, le chiffre d’affaires total des entreprises occidentales en Russie (hors structures chypriotes) s’est élevé à 17,3 trillions de roubles (environ 203 milliards de dollars), contre 23,6 trillions de roubles avant la guerre en 2021. La même année, les bénéfices de ces sociétés ont atteint 1,23 trillion de roubles, dont plus de la moitié provenait de «Rosneft» et «Russneft».
Certains secteurs ont particulièrement prospéré malgré les sanctions. Les entreprises occidentales ont vu leurs revenus croître dans la pharmacie, le commerce de gros, la fourniture d’équipements industriels, la vente de denrées alimentaires, de matériaux de construction, de cosmétiques et de produits ménagers. L’hôtellerie, la restauration et le secteur du bâtiment ont également enregistré des hausses de revenus significatives.
Certaines entreprises ont même tiré parti du départ de leurs concurrents. La société suisse de logistique «Interrail Holding» a triplé son chiffre d’affaires, passant d’un à trois milliards de roubles. Le fabricant français de fromages «Bongrain Europe Est» a doublé ses ventes, tandis que le fournisseur allemand d’équipements industriels «AscoBlok Debag Rus» a vu son chiffre d’affaires multiplié par 5,5.
Le secteur bancaire a été l’un des plus grands bénéficiaires du vide laissé par les institutions financières occidentales. La banque autrichienne Raiffeisenbank est longtemps restée l’une des rares institutions permettant encore des transactions en dollars et en euros en Russie. Tirant parti de cette position dominante, elle a augmenté ses commissions, ce qui lui a permis de générer plus de la moitié des bénéfices du groupe bancaire Raiffeisen à l’échelle mondiale. Malgré les pressions exercées par la Banque centrale européenne, Raiffeisenbank ne semble pas pressée de quitter le marché russe et prévoit simplement de réduire son portefeuille de crédits de 65 % d’ici 2026.
Les petites et moyennes entreprises ont également vu leurs revenus progresser. Nombre d’entre elles ont contribué à contourner les sanctions en établissant des chaînes logistiques alternatives pour l’importation de pièces détachées et de composants à double usage, ce qui profite également au complexe militaro-industriel russe.
D’après les estimations des experts, les entreprises occidentales toujours présentes en Russie ont versé environ 500 milliards de roubles (environ 4,85 milliards de dollars) d’impôts en 2023. De cette somme, au moins 111 milliards de roubles (1,3 milliard de dollars) ont été directement alloués au budget militaire russe.
En fin de compte, malgré les annonces fracassantes et les discours sur la rupture totale avec la Russie, les liens économiques entre les grandes entreprises occidentales et le marché russe sont loin d’être rompus. Certaines sociétés non seulement continuent de générer des bénéfices en Russie, mais participent indirectement au financement du budget militaire du Kremlin.
L'un des plus importants contributeurs fiscaux parmi ces entreprises est ООО «Унтыгейнефть», qui a versé 22,35 milliards de roubles au budget russe. Cette société est détenue pour moitié par la firme canadienne CanBaikal Resources Inc. et pour moitié par la société russe «Neftisa», liée à Mikhaïl Goutseriev. ООО «Унтыгейнефть» a vu le jour en 2022, après que la législation russe a interdit l’attribution de licences d’exploitation des ressources naturelles à des étrangers.
Les entreprises spécialisées dans les biens de consommation courante et l’agroalimentaire ont également généré des recettes fiscales importantes. Parmi elles figurent Procter & Gamble, Mars, Nestlé, ainsi que Coca-Cola et PepsiCo. Coca-Cola, bien qu'ayant officiellement annoncé son départ de Russie, continue d’y opérer via ООО «Мултон Партнерс», qui produit des boissons similaires sous une marque locale.
Le groupe de construction allemand Knauf reste lui aussi actif sur le marché russe. En 2023, ses filiales ont versé plus de 11,7 milliards de roubles d’impôts en Russie, avec 2,3 milliards de roubles supplémentaires déjà provisionnés pour 2024. L'Ukraine a inscrit Knauf sur la liste des «sponsors de guerre» en raison de ces importantes contributions fiscales. Des journalistes de la chaîne allemande ARD ont même retrouvé des matériaux Knauf utilisés dans des chantiers à Marioupol. La société a répondu en affirmant qu’elle ne contrôlait pas l’utilisation finale de ses produits et n’en assumait donc pas la responsabilité.
Les entreprises occidentales en Russie : une sortie qui n’a jamais vraiment eu lieu
Parmi les plus gros contributeurs fiscaux en Russie figurent la société kaliningradaise Universal Cigarette Manufactory (États-Unis), les enseignes de prêt-à-porter New Yorker (Allemagne) et Guess (Pays-Bas et Suisse), ainsi que les géants pharmaceutiques KRKA (Slovénie), FarmaMondo (Russie, Suisse et Allemagne) et PUIG (France).
D'après les experts de la plateforme B4Ukraine, environ 1600 multinationales ont poursuivi leurs activités en Russie en 2023, versant au budget russe quelque 22 milliards de dollars d'impôts. Fait marquant : 17 des 20 plus grands contributeurs fiscaux provenaient de pays soutenant officiellement l'Ukraine. Les entreprises américaines figuraient en tête de liste, avec 1,2 milliard de dollars de taxes sur les bénéfices versés au budget russe, tandis que les entreprises allemandes ont contribué à hauteur de 692,5 millions de dollars.
Une telle situation s’explique par la logique économique complexe qui gouverne les grandes entreprises. Si la guerre est une tragédie humaine et politique, elle ne constitue pas, formellement parlant, un cas de force majeure reconnu par les mécanismes du commerce mondial. Pour les grandes entreprises, les conflits géopolitiques sont souvent perçus comme des risques imprévisibles, mais non comme une raison morale suffisante pour cesser d'exploiter des opportunités financières.
De nombreux acteurs du monde des affaires considèrent même la hausse imprévue de leurs revenus pendant la guerre comme un simple effet collatéral, fruit du hasard, et non comme une implication consciente dans le financement de la guerre menée par la Russie.
D’un point de vue strictement économique, le refus de certaines entreprises de réorienter une partie de leurs bénéfices vers l’aide à l’Ukraine est donc logique. Les multinationales occidentales agissent avant tout dans l’intérêt de leurs actionnaires et cherchent à minimiser les pertes. Même le soutien économique accordé à l'Ukraine par les pays occidentaux est parfois vu par les experts comme une sorte de « miracle moral ». Contrairement à l’approche pragmatique adoptée lors de la Seconde Guerre mondiale, où les démocraties occidentales n’ont pas réagi face à l’annexion de la Tchécoslovaquie et de l’Autriche, le soutien actuel à l’Ukraine n’est pas dicté par des intérêts économiques directs, mais plutôt par des considérations éthiques.
Les entreprises qui ont effectivement quitté la Russie l’ont fait davantage par calcul que par principe. Des enseignes comme McDonald's ont redouté un effet désastreux sur leur image publique en Occident et les pertes commerciales potentielles associées. Toutefois, à mesure que l’attention du public occidental se détourne progressivement de la guerre en Ukraine, certaines entreprises revoient désormais leur position et envisagent de revenir sur le marché russe. C’est notamment le cas de la chaîne française de supermarchés Auchan, qui, en réalité, n’a jamais complètement cessé ses activités en Russie.
Dans un contexte de désintérêt croissant du public pour le conflit ukrainien, la pression exercée sur les entreprises occidentales diminue. Bien que les États n’aient aucun levier juridique pour forcer les entreprises à consacrer leurs revenus à l’aide à l’Ukraine, l’opinion publique reste le principal moteur de leur comportement. Cependant, alors que les préoccupations des citoyens européens se recentrent sur leurs propres problèmes économiques et sociaux, l’élan de solidarité avec l’Ukraine faiblit, ce qui allège considérablement le poids moral pesant sur les entreprises.
L’histoire des multinationales occidentales qui continuent d’opérer en Russie n’est pas qu’une affaire de chiffres et de statistiques. Elle illustre un conflit bien plus profond : celui entre la logique financière et les impératifs moraux. Dans le monde contemporain, l’argent s’impose souvent comme la force dominante, reléguant les idéaux et les principes au second plan. Ce phénomène met en lumière un affrontement inévitable entre le calcul froid du monde des affaires et les attentes éthiques de la société.
L’économie est impitoyable. Elle ne distingue pas entre une opportunité d’investissement légitime et une tragédie humaine exploitée pour maximiser les profits. Les multinationales, guidées par la seule logique du gain et de la perte, poursuivent inexorablement leur quête de rentabilité. Pour ces grandes firmes, le marché russe n’est ni une scène géopolitique ni une arène idéologique, mais plutôt une colonne de chiffres, un tableau de résultats, un calcul de coûts et de revenus.
Mais derrière ces chiffres se cache bien plus qu’un simple bilan comptable — il s’agit aussi d’un choix de société. L’aide occidentale à l’Ukraine représente indéniablement un « miracle moral », un exemple rare d’altruisme en politique internationale. Pourtant, ce miracle n’est pas éternel. L’économie exige son dû, et là où certains se retirent, d’autres prennent la place — plus agiles, moins encombrés par les dilemmes moraux.
Aujourd’hui, l’Ukraine lutte sur plusieurs fronts : non seulement sur le champ de bataille, mais aussi dans le monde des affaires — pour l’attention, pour les ressources économiques, pour le soutien financier. Dans cette guerre économique, elle se heurte à une dure réalité : les lois du marché n’ont que faire des souffrances humaines ou des villes détruites. Le commerce mondial vit selon ses propres règles, et ces règles ne laissent que peu de place à la compassion.
Cependant, l’Ukraine possède une autre force puissante — celle du soutien moral de millions de personnes à travers le monde. Cette pression sociale peut peser autant, sinon davantage, que les sanctions économiques ou les menaces politiques. À mesure que les consommateurs et l’opinion publique s’engagent davantage pour des causes éthiques, les entreprises doivent de plus en plus composer avec ces attentes morales.
L’avenir dira si le monde des affaires saura surmonter cette épreuve éthique ou si les calculs cyniques et les stratégies pragmatiques finiront par l’emporter. Une chose est sûre : le conflit entre éthique et économie ne prendra pas fin de sitôt. Il deviendra au contraire un volet crucial du vaste affrontement géopolitique en cours, où chaque décision commerciale ne sera pas seulement un choix économique, mais aussi un pas vers la redéfinition de l’ordre mondial.