IRAN : L’EFFONDREMENT ÉNERGÉTIQUE D’UN GÉANT AUX PIEDS D’ARGILE
Paris / La Gazette
L’Iran, ce géant du Moyen-Orient, ce trésorier des secondes plus vastes réserves mondiales de gaz naturel, vacille sous le poids d’un paradoxe cruel : ses richesses naturelles, censées être une bénédiction, sont devenues une malédiction.
À l’heure où l’hiver étend son étreinte glaciale, des millions d’Iraniens tremblent dans des foyers mal chauffés, tandis que la machine économique du pays s’enraye, victime de coupures de courant incessantes. Le rial, déjà affaibli, s’effondre davantage, comme un navire sans gouvernail dans une mer agitée.
Une implosion énergétique : le volcan silencieux s’éveille
La crise énergétique iranienne s’apparente à l’éruption d’un volcan oublié, libérant des torrents de cendres sur un paysage désarmé. L’Iran, autrefois titan des hydrocarbures, ressemble désormais à un colosse vacillant sur des jambes d’argile. Les coupures de courant plongent les villes dans une obscurité presque médiévale, les autoroutes désertes deviennent des fantômes d’elles-mêmes, et les écoles se réfugient dans l’enseignement à distance pour économiser la moindre étincelle d’énergie.
Les vastes champs pétroliers et gaziers, qui pourraient faire de ce pays une superpuissance énergétique, semblent aujourd’hui aussi inaccessibles qu’un mirage dans le désert. Pourquoi ? Une gestion inefficace, des infrastructures vétustes et un carcan de sanctions internationales se combinent en une tempête parfaite, étouffant le potentiel national sous une chape d’incapacité et d’immobilisme stratégique.
Le peuple iranien, otage d’une abondance gaspillée
« Nous sommes au bord du gouffre », a déclaré le président Masoud Pezeshkian, dans un aveu d’impuissance qui résonne comme une cloche funéraire pour des millions d’Iraniens. Depuis des semaines, la population endure des restrictions énergétiques sans précédent : des températures abaissées dans les logements, des usines paralysées, et une élite politique qui exhorte à la patience, comme si l’hiver prochain portait en lui les promesses d’un miracle.
Mais derrière ces appels se cache une réalité implacable. Les centrales électriques iraniennes, fonctionnant à 86 % au gaz naturel, sont devenues des vestiges du passé. Obsolètes et voraces, elles drainent les ressources du pays tout en polluant l’air de Téhéran, d’Ispahan et d’autres grandes métropoles. Les fumées épaisses qui enveloppent ces villes semblent pleurer, comme une métaphore visible d’un avenir gaspillé.
Le poids des sanctions ou celui de la myopie politique ?
Téhéran accuse les sanctions internationales, et à juste titre. Depuis des décennies, celles-ci étranglent l’économie iranienne, bloquant les investissements étrangers et l’accès aux technologies modernes. Mais les sanctions, aussi sévères soient-elles, ne racontent qu’une partie de l’histoire.
L’autre partie, plus sombre, révèle une administration gangrenée par la corruption et une absence de vision stratégique. Les ressources énergétiques, au lieu de fortifier l’économie nationale, ont servi des ambitions géopolitiques coûteuses. Entre 2021 et 2024, près de 144 milliards de dollars de revenus pétroliers ont été dilapidés pour soutenir des alliés régionaux et des projets de politique étrangère, laissant le peuple iranien à la merci du froid et des coupures d’électricité.
Quand les ressources deviennent un fardeau
L’Iran, pays béni par la nature, est aujourd’hui accablé par ses propres richesses. Ses champs pétroliers et gaziers, comme des joyaux inutilisables, rappellent amèrement qu’une abondance mal gérée peut devenir le fardeau d’une nation. Si les dirigeants iraniens ne réorientent pas leurs priorités, le pays risque de sombrer davantage, étouffé par un mélange toxique de sanctions, de mauvaise gestion et d’un manque cruel de vision pour l’avenir.
Alors que l’hiver s’installe et que l’horizon reste sombre, l’Iran se trouve à un carrefour décisif. La question est simple, mais cruciale : ce géant tombé à genoux peut-il encore se relever, ou est-il condamné à errer indéfiniment dans le désert de ses propres contradictions ?
Un vase fissuré : le système énergétique au bord de la rupture
Le système énergétique iranien ressemble à un vase antique, orné de promesses mais fragilisé par le temps et l’incompétence. Les fissures, longtemps ignorées, se multiplient. À chaque tentative de réparation, le ruban adhésif se décolle, révélant l’ampleur des dégâts. L’Iran, avec ses deuxièmes plus grandes réserves de gaz naturel prouvées et ses quatrièmes réserves de pétrole, aurait pu être une oasis énergétique. Mais il est désormais un désert assoiffé, où les besoins dépassent largement les capacités.
Des coupures d’électricité plongent les usines dans l’obscurité, laissant des ouvriers désœuvrés et des machines à l’arrêt. Les foyers, eux, peinent à chauffer leurs murs, tandis que l’hiver mord les corps et les esprits. Le déficit énergétique quotidien atteint 350 millions de mètres cubes de gaz et 20 gigawatts d’électricité, un gouffre que même les plus optimistes peinent à imaginer combler.
Le paradoxe des richesses : l’abondance devenue piège
L’Iran aurait dû être un phare énergétique dans la région, un modèle de stabilité et d’innovation. Pourtant, ses immenses ressources ne servent qu’à financer des ambitions géopolitiques démesurées. « Les milliards de dollars qui s’évaporent dans des projets régionaux comme le soutien au régime de Damas sont un symbole tragique de priorités mal orientées », déplore Arezou Karimi, journaliste économique.
Selon Karimi, plus de 25 milliards de dollars ont été investis en Syrie, tandis que les infrastructures iraniennes tombent en ruines. Des livraisons gratuites de pétrole à Damas, censées affirmer l’influence de l’Iran dans la région, ont laissé les raffineries nationales en crise. Les fières autoroutes du gaz, autrefois considérées comme un symbole de prospérité, sont devenues des chaînes, maintenant une économie étouffée par ses propres contradictions.
Les racines d’un échec : obsolescence et myopie stratégique
La crise énergétique iranienne n’est pas le fruit du hasard, mais le résultat d’erreurs systémiques :
- Infrastructures obsolètes. Les centrales électriques, vieilles de plusieurs décennies, consomment davantage qu’elles ne produisent. Moderniser ces installations nécessiterait des milliards, mais les sanctions internationales bloquent les investissements.
- Consommation excessive. Des subventions énergétiques encouragent une utilisation démesurée des ressources, épuisant les réserves nationales.
- Dépendance unilatérale. L’Iran a misé presque exclusivement sur le gaz naturel, qui représente 86 % de sa production d’électricité. Les besoins domestiques surpassent désormais les capacités industrielles, étranglant l’économie.
Hossein Mirafzali, analyste énergétique, souligne avec amertume : « Le choix de tout miser sur le gaz sans diversification est une faute stratégique qui coûte aujourd’hui des milliards au pays. »
Un géant contraint de plier : importations et humiliations
Le paradoxe iranien atteint son apogée dans une ironie cruelle : le pays, autrefois exportateur d’énergie, se voit contraint d’importer du gaz, notamment du Turkménistan. Cette situation humiliante, qui sape l’image d’une puissance régionale, reflète la réalité d’un géant pris au piège de ses propres contradictions.
Même en cas de levée des sanctions, il faudrait trois à cinq ans pour attirer des investisseurs étrangers et moderniser les infrastructures. Mais en l’absence de réformes profondes, le risque est grand que ces investissements servent à colmater des brèches plutôt qu’à bâtir un avenir durable.
Un peuple sous pression : colère et désespoir
Les conséquences de la crise énergétique s’étendent bien au-delà des chiffres :
- Fermetures d’usines. Le chômage grimpe, alimentant une colère sociale qui menace de devenir incontrôlable.
- Pénuries domestiques. Les foyers privés de chauffage deviennent des champs de bataille silencieux contre l’hiver.
- Pollution record. L’utilisation accrue de fioul lourd, une ressource bon marché mais polluante, a transformé le ciel de Téhéran en une mer de smog.
La frustration populaire atteint son paroxysme. Les rues bruissent de protestations, et les murs des villes portent les slogans d’un peuple en quête de justice. Mais sans une transformation radicale, ces appels risquent de se perdre dans le tumulte d’un système incapable de se réinventer.
L’Iran à la croisée des chemins
L’histoire de l’Iran est celle d’un géant qui a trop cru en son invincibilité. Aujourd’hui, ce colosse doit choisir entre réinventer son système ou sombrer sous le poids de ses contradictions. Les ressources qui auraient dû être une bénédiction sont devenues une malédiction, révélant une vérité universelle : la richesse, mal gérée, peut être plus destructrice que la pauvreté.
Le peuple iranien, lui, attend des réponses. Mais le temps presse, et l’hiver, dans son impitoyable rigueur, pourrait bien devenir le juge ultime d’un système à bout de souffle.
Chaque jour, l’Iran se retrouve face à un choix cruel, comme un funambule tentant de trouver l’équilibre entre deux abîmes : éteindre les lumières des usines ou priver des millions de foyers de chaleur. Le gouvernement a tranché. Le gaz continue de chauffer les maisons, mais les centrales électriques, privées de carburant, sombrent dans l’inaction. Vendredi dernier, 17 centrales ont totalement cessé de fonctionner, tandis que les autres peinent à tourner à capacité réduite.
Les coupures massives d’électricité, frappant de plein fouet les secteurs clés tels que la sidérurgie, l’alimentation et les médicaments, plongent l’industrie dans un chaos sans précédent. La société nationale d’énergie, Tavanir, a prévenu : ces interruptions pourraient durer des semaines. Un silence inquiétant s’abat sur les ateliers et les lignes de production, comme un glas sonnant la désindustrialisation.
« La priorité est de maintenir coûte que coûte le chauffage dans les foyers », explique Seyed Hamid Hosseini, membre du comité énergétique de la Chambre de commerce. Mais ce choix, bien qu’humain, a un coût économique exorbitant : des pertes industrielles estimées à des dizaines de milliards de dollars et une réduction des capacités de production allant de 30 à 50 %.
Les ambitions géopolitiques face à une économie en ruines
Cette crise énergétique éclate dans un contexte géopolitique déjà fragile pour Téhéran. L’Iran, jadis acteur influent de la région, voit son autorité s’éroder. En Syrie, l’effondrement du régime de Bachar al-Assad a réduit son rôle stratégique, tandis que les frappes israéliennes contre les infrastructures du Hezbollah au Liban affaiblissent encore son influence.
Un éventuel retour de Donald Trump à la Maison-Blanche pourrait aggraver la situation avec une reprise de la politique de « pression maximale ». Sur le front interne, la dévaluation rapide du rial attise la colère populaire, et les attaques ciblées sur l’infrastructure gazière en février 2024 ont encore creusé le fossé. Les explosions de deux gazoducs stratégiques ont forcé le gouvernement à puiser dans ses maigres réserves d’urgence, laissant le pays dans une position encore plus vulnérable.
Le gaz : bénédiction ou malédiction ?
Le gaz naturel, colonne vertébrale de l’énergie iranienne, est aujourd’hui une arme à double tranchant. Alors qu’il alimente 70 % des besoins énergétiques du pays, il est aussi la source d’une crise structurelle. Les vastes programmes de gazéification, qui couvrent 90 % des foyers, ont rendu l’Iran terriblement dépendant d’une infrastructure vétuste et d’une consommation excessive.
« Les subventions au gaz, bien qu’introduites pour soulager la population, ne font qu’aggraver les problèmes systémiques », explique Esfandyar Batmanghelidj, du centre londonien Bourse & Bazaar Foundation. « Le système est inefficace de bout en bout, de l’extraction du gaz à sa distribution. »
L’effondrement industriel : le prix des erreurs passées
Mehdi Bostanchi, président du Conseil de coordination de l’industrie, qualifie cette crise d’« inédite » dans l’histoire contemporaine de l’Iran. Les petites et moyennes entreprises vacillent au bord de la faillite, les pertes industrielles atteignent des sommets, et le chômage menace de provoquer un soulèvement populaire.
La dépendance excessive aux centrales au gaz, qui génèrent 86 % de l’électricité nationale, a transformé le secteur énergétique en talon d’Achille. Sans carburant suffisant, l’industrie se trouve paralysée, accumulant des milliards de dollars de pertes et semant le désespoir parmi les travailleurs.
Des mesures d’austérité insuffisantes : un navire en train de couler
Depuis novembre, le gouvernement tente d’instaurer des coupures d’électricité programmées, mais ces mesures ressemblent à un seau vide face à un navire en train de sombrer. Les interruptions deviennent chaotiques et prolongées. Écoles et universités ont fermé leurs portes dans la plupart des provinces, et les administrations publiques raccourcissent leurs horaires, fermant dès 14 heures.
L’arrêt controversé de l’approvisionnement en gaz pour 73 000 résidences secondaires a provoqué une vague de mécontentement. Bien que présenté comme une mesure de bon sens, ce choix a laissé de nombreux citoyens se sentir abandonnés par leurs dirigeants.
Le quotidien des Iraniens : chaos et désespoir
Dans les rues de Téhéran, une atmosphère d’incertitude règne. Les feux de circulation clignotent avant de s’éteindre, les ascenseurs restent figés entre deux étages, et l’accès à l’eau et au chauffage devient une loterie quotidienne.
Sepideh, enseignante à Téhéran, décrit une vie suspendue aux aléas des coupures : « Quand l’électricité est coupée, notre chaudière s’arrête et nous devons transporter de l’eau depuis nos voisins. » Ses cours d’anglais en ligne sont régulièrement annulés, et elle avoue ressentir un profond sentiment d’impuissance.
Nader, dentiste, est contraint d’interrompre ses consultations à cause des coupures imprévues. « Nous vivons au jour le jour, dans une incertitude totale », dit-il.
Un avenir incertain pour un pays en crise
L’Iran, pris dans un engrenage de contradictions et de priorités mal orientées, doit affronter une vérité dure : sans une réforme profonde de son système énergétique, le pays continuera de vaciller entre pénuries et désespoir.
Le choix de privilégier le chauffage des foyers au détriment de l’industrie, bien qu’humain à court terme, illustre les défis monumentaux auxquels l’Iran est confronté. Pendant ce temps, les citoyens, eux, ne peuvent qu’espérer qu’un hiver plus clément adoucira l’impact de cette crise, dont la fin paraît toujours plus lointaine.
Les entreprises en crise : de l’incertitude à la stagnation
L’Iran est aujourd’hui le théâtre d’une tragédie silencieuse où le secteur privé, autrefois moteur de l’économie, s’enfonce dans une stagnation asphyxiante. Les usines ferment leurs portes, les chaînes de production s’arrêtent, et les entreprises sont étouffées par des coûts exponentiels.
Un des plus grands fabricants de matériaux de construction a récemment déclaré : « Aucune révolution, guerre ou sanction passée n’a été aussi chaotique et stressante que cette crise énergétique. » Soheil, ingénieur dans une usine d’électroménager à Ispahan, illustre cette réalité amère : « Les coupures d’électricité nous empêchent de planifier quoi que ce soit. Nous avons dû réduire les effectifs, et les licenciements massifs s’accumulent. »
Ces récits, poignants et alarmants, traduisent une économie qui vacille sous le poids de son immobilisme.
Les tentatives gouvernementales : entre symbolisme et maladresse
Face à cette catastrophe, le président Masoud Pezeshkian a lancé une campagne de communication dans laquelle des célébrités et des responsables exhortent les citoyens à baisser la température de leurs maisons de deux degrés. Des images du complexe présidentiel plongé dans l’obscurité ont été diffusées pour souligner la gravité de la situation.
Mais ces gestes symboliques, loin d’apaiser, alimentent la colère. Sur les réseaux sociaux, les critiques fusent : « Des milliards sont dépensés dans des projets géopolitiques, tandis que nous vivons sans lumière ni chauffage », dénoncent des citoyens exaspérés.
Une crise systémique au-delà de l’énergie
La crise énergétique iranienne n’est pas seulement une question de pénuries de courant. Elle incarne une défaillance systémique, où des infrastructures obsolètes et des priorités politiques mal orientées ont plongé le pays dans une instabilité chronique.
Les conséquences sont profondes :
- Économiques : les petites et moyennes entreprises, incapables de supporter les coûts croissants et les interruptions incessantes, s’effondrent.
- Sociales : le mécontentement populaire s’intensifie, alimenté par la dévaluation de la monnaie et l’incapacité des autorités à apporter des solutions concrètes.
- Environnementales : la pollution atmosphérique atteint des niveaux records alors que l’Iran brûle du fioul lourd pour compenser le manque de gaz.
Un besoin urgent de réformes
L’Iran est aujourd’hui à la croisée des chemins. Sans réformes structurelles immédiates, le pays risque de sombrer dans un chaos prolongé. La modernisation des infrastructures, la révision des subventions énergétiques et l’attraction d’investissements étrangers ne sont plus des options, mais des impératifs.
Cependant, ces réformes se heurtent à des obstacles colossaux :
- Les sanctions internationales, qui limitent l’accès aux capitaux et aux technologies modernes.
- La corruption généralisée, qui détourne les ressources nécessaires aux projets stratégiques.
- Une vision politique centrée sur des ambitions régionales coûteuses, au détriment du bien-être national.
Un tournant critique : agir ou s’effondrer
L’Iran, ce géant énergétique, vacille aujourd’hui sur ses propres fondations. Chaque jour qui passe rapproche le pays d’un point de non-retour.
La crise actuelle est un signal d’alarme, une urgence que l’État ne peut plus ignorer. Pourtant, la question demeure : le gouvernement aura-t-il la volonté politique et la capacité de transformer cette crise en opportunité ?
L’histoire regorge d’exemples de nations qui, face à des crises similaires, ont su se réinventer. Mais l’Iran, embourbé dans ses contradictions internes, pourra-t-il suivre cet exemple ?
Pour les millions d’Iraniens, déjà plongés dans l’obscurité – métaphorique et littérale –, le futur semble incertain. L’espoir d’un renouveau existe, mais il repose sur des décisions courageuses et immédiates.
L’Iran est-il prêt à affronter ses démons pour renaître de ses cendres, tel un phénix ? Ou ses ressources naturelles, autrefois symboles de puissance, continueront-elles à peser comme une malédiction, entraînant le pays vers une chute inévitable ?
L’avenir est suspendu, et pour les citoyens, cet avenir ressemble à une interminable attente.