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L'historien français Maxime Gauin: « Les Azerbaïdjanais ne sont pas un peuple rancunier et le gouvernement français, quelles qu’aient été ses erreurs de l’automne dernier, n’est pas inconscient »

22 Juin 2021 11:39 (UTC+01:00)
L'historien français Maxime Gauin: « Les Azerbaïdjanais ne sont pas un peuple rancunier et le gouvernement français, quelles qu’aient été ses erreurs de l’automne dernier, n’est pas inconscient »
L'historien français Maxime Gauin: « Les Azerbaïdjanais ne sont pas un peuple rancunier et le gouvernement français, quelles qu’aient été ses erreurs de l’automne dernier, n’est pas inconscient »

Paris / Lagazetteaz

Dans cette interview exclusive accordée à Lagazetteaz, l'historien français Maxime Gauin revient sur l'état actuel des relations franco-azerbaïdjanaises, les activités d'après-guerre du Karabakh et la construction de la paix dans la région après le réglement du conflit arméno-azerbaïdjanais.

- Quel est l'état actuel des relations entre l’Azerbaïdjan et la France ?

Maxime Gauin: Pour reprendre une expression à la mode, je dirai que c’est une sortie de crise. Le gouvernement français a gâché, par quelques déclarations irresponsables, aggravées par des actions bien plus irresponsables encore de quelques dirigeants régionaux, le crédit patiemment accumulé entre le traité conclu en 1993 et l’annulation en 2019, par la justice administrative française, de toutes les « chartes » illégalement signées par des mairies avec des communes du Haut-Karabakh, encore occupé. Cela dit, les Azerbaïdjanais ne sont pas un peuple rancunier et le gouvernement français, quelles qu’aient été ses erreurs de l’automne dernier, n’est pas inconscient. Le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, en particulier, a fait et continue de faire ce qu’il peut pour revenir à des relations normales.

- Compte tenu de l'évolution de la situation géopolitique et de la nouvelle dynamique dans la région, la politique étrangère de la France vis-à-vis du Caucase du Sud comportera-t-elle à l'avenir de nouveaux éléments ?

Maxime Gauin: Ce serait logique. L’Azerbaïdjan a repris par la force ce qui lui appartenait, après qu’aucun autre choix ne lui eut été laissé. La Turquie continue de renforcer sa présence et la Russie ne fait que ralentir son déclin. L’intérêt français commande d’en tenir compte.

- Comment la France, en tant que coprésidente du groupe de Minsk de l'OSCE, pourrait-elle contribuer aux activités d'après-guerre du Karabakh ?

Maxime Gauin: D’abord en prenant compte le fait que, justement, le groupe de Minsk a totalement échoué et ne représente plus grand-chose, concrètement. C’est un repoussoir pour l’Azerbaïdjan et le symbole des occasions manquées pour les Arméniens lucides - tant ceux qui l’étaient déjà avant septembre 2020 que ceux qui le sont devenus ensuite.

Ensuite, en essayant de s’appuyer sur ses erreurs passées comme un lutteur de judo, c’est-à-dire en se posant comme alternative à la Russie et aux États-Unis pour convaincre les Arméniens du Karabakh, ou du moins la majorité d’entre eux, qu’ils n’ont rien à craindre mais beaucoup à gagner en acceptant de devenir (ou redevenir, pour les moins jeunes) des citoyens de l’Azerbaïdjan.

Les excès de langage en faveur de Nikol Pachinian peuvent désormais être retournées en faveur de Paris : l’an dernier, M. Pachinian était considéré, non sans raisons, comme l’ennemi ; maintenant, le gouvernement azerbaïdjanais prend acte de l’évolution du Premier ministre arménien et conclut qu’il n’y a pas de meilleur interlocuteur disponible, d’autant que les partisans arméniens de la guerre à outrance viennent d’être balayés dans les urnes.

- En mai dernier, une lettre ouverte a été adressée à Monsieur le Président de la République française en ce qui concerne la politique de la France dans le Caucase, dont vous avez été l’un des signataires. Depuis, avez-vous constaté des gestes décisifs quelconques visant à normaliser les relations franco-azerbaïdjanaises ?

Maxime Gauin: Des signes indirects, oui ; des gestes décisifs, pas encore, mais c’est assez logique, car les élections régionales en France et législatives en Arménie rendaient peu probables de tels gestes avant que les résultats ne fussent connus. Maintenant, nous voyons une fois de plus que le « vote arménien » en France n’est qu’un mythe : l’unique candidat du Rassemblement national qui soit arrivé en tête au premier tour, c’est Thierry Mariani, haï par les communautaristes arméniens, alors même qu’il mène le RN dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, celle qui compte le plus d’électeurs de culture arménienne. Nous constatons aussi la disjonction entre, d’une part, les fanatiques de la diaspora, qui veulent reprendre le combat tout en le regardant depuis leur duplex d’Alfortville ou leur villa de Los Angeles, d’autre part la majorité des Arméniens d’Arménie.

- L’Azerbaïdjan accorde une grande importance à la construction réelle de la paix dans la région du Caucase du Sud, par le biais de la normalisation des relations entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Donc, comment voyez-vous la coexistence des Azerbaïdjanais et des Arméniens dans la région, et quelle contribution la France peut-elle apporter en ce sens ?

Maxime Gauin: Mes précédentes réponses vous donnent déjà des éléments en ce sens : il faut que Paris revienne à sa ligne d’avant 2020 et mette à profit les erreurs de l’an dernier pour favoriser l’intégration, dans la nation azerbaïdjanaise, d’un maximum d’Arméniens du Karabakh, ainsi, bien entendu, que l’établissement de relations diplomatiques entre Erevan et Bakou. Un autre moyen d’action, qui deviendra possible dès que les relations franco-azerbaïdjanaises auront continué de s’améliorer significativement, sera d’utiliser les filiales turques et azerbaïdjanaises de sociétés françaises, ainsi que la présence française en Arménie, pour favoriser les échanges de toutes sortes. Enfin, l’argent du contribuable français, tant gaspillé à l’époque de Robert Kotcharian et Serge Sarkissian, sera utile.

- La France est déjà l’un des investisseurs importants en Azerbaïdjan, a des relations historiques, diplomatiques, culturelles, économiques et commerciales anciennes et de qualité avec l’Azerbaïdjan. Pourriez-vous commenter l’avenir de ces relations économiques bilatérales après une crise diplomatique entre les deux pays liée à la seconde guerre du Karabagh ?

Maxime Gauin: Il faut de la volonté, du courage et de la lucidité pour que les intérêts mutuels prévalent à nouveau. Le gouvernement français doit vite rattraper ses erreurs, je l’ai déjà dit ; mais le gouvernement azerbaïdjanais doit aussi comprendre que la communication a un coût, en France comme ailleurs, qu’elle est plus efficace, dans le cas de Bakou, qu’ailleurs, si elle est menée par des professionnels, avec un budget suffisant (la « cause arménienne » exaspère beaucoup de Français depuis l’hiver 2011-2012), et que les querelles de personnes, ici ou là, ne font que du mal.

- L’Arménie viole les dispositions de la Convention des Nations Unies de 1999 sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel, en refusant de remettre à l'Azerbaïdjan les cartes des champs de mines dans les territoires azerbaïdjanais désormais libérés. Comment évaluez-vous cette action de l’Arménie ?

Maxime Gauin: L’Arménie tire évidemment profit du fait qu’elle n’a pas signé cette convention de 1997, entrée en vigueur en 1999. Jusqu’à hier, il était possible de supposer que M. Pachinian était sous la contrainte du président de la République, de certains généraux, voire de certains diplomates, et qu’il craignait de perdre des voix en communicant toutes les cartes. Maintenant qu’il a très nettement gagné ces élections, qu’il a donc toute légitimité pour mettre au pas les généraux revanchards, il devra être jugé en fonction de ce nouveau contexte. Cela dit, le gouvernement azerbaïdjanais s’est dit optimiste, en apprenant les résultats des législatives. Rien ne m’incite à penser qu’il a tort.

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Propos recueillis par Samid NASIROV

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