Lagazette

OÙ VONT LES RELATIONS ENTRE LA FRANCE ET L’AZERBAÏDJAN ?

11 Janvier 2025 16:32 (UTC+01:00)
OÙ VONT LES RELATIONS ENTRE LA FRANCE ET L’AZERBAÏDJAN ?
OÙ VONT LES RELATIONS ENTRE LA FRANCE ET L’AZERBAÏDJAN ?

Paris / La Gazette

Le 6 janvier dernier, le président français Emmanuel Macron recevait le corps diplomatique à l’occasion de la traditionnelle « Conférence des ambassadrices et des ambassadeurs ». Si ce moment a été pour lui l’occasion de peindre un tableau flatteur et idyllique de sa politique internationale, il n’a pas fallu plus de quelques minutes pour soit désigné l’ennemi à combattre : l’Azerbaïdjan !

« La France a été elle-même attaquée par des ingérences inacceptables dans la plupart de ces territoires ultramarins, et tout particulièrement en Nouvelle-Calédonie ces derniers mois, par l'Azerbaïdjan qui pensait, là, régler ses propres incompréhensions du fait que nous défendons le droit international et l'Arménie. »

Prétendre respecter le droit international en soutenant les forces arméniennes qui ont occupé pendant presque 30 ans des territoires internationalement reconnus – y compris par la France – comme faisant partie de l’Azerbaïdjan, et condamner celui-ci pour avoir simplement libéré ces provinces illégalement occupées, est pour le moins osé.

Que n’a-t-il tiré les leçon du constat qu’il a lui-même dressé au début de son discours (ou que ses « plumes » ont écrit à sa place), lorsqu’il fustigeait le « désordre né de l'affaiblissement des règles internationales, contestées par d'autres puissances qui ne jouent plus le jeu, se déploient sans complexe dans de nouveaux espaces de confrontation internationale et tentent de fragmenter le monde à leur avantage. » Qui, en effet s’est « déployé dans de nouveaux espaces de confrontation » » et fragmenté le monde à leur avantage », sinon les forces arméniennes qui ont envahi l’Azerbaïdjan en 1993 dans le but de s’approprier des terres azerbaïdjanaises sous prétexte que des citoyens d’origine arménienne y habitaient ?

Une classe politique aveugle et sourde

Depuis que l’Azerbaïdjan a récupéré l’intégralité du Karabakh, les politiciens français, sans doute soucieux de s’attirer les bonnes grâces de l’influente diaspora arménienne en France, reprennent à leur compte la rengaine du « nettoyage ethnique » dont auraient été victimes les Arméniens de Khankendi, systématiquement appelée par le nom donné par les séparatistes arménien : Stepanakert. Or le seul nettoyage ethnique de la région a été celui qui fut perpétré par l’Arménie, une première fois en 1987, avec la déportation des azéris vivant en Arménie, et une seconde fois en 1993 avec l’expulsion des habitants du Karabakh. Au total, ce sont près d’un million de personnes qui ont été les victimes de ce nettoyage ethnique.

Un nettoyage que reconnaissait, et dont se félicitait, en 1993, le premier président de la république d’Arménie Levon Ter-Petrossian : « L’Arménie et le Karabakh ont été complètement nettoyés des autres peuples. Je le répète encore une fois, c’était un problème vieux de 600 ans. Son importance sera ressentie par le peuple arménien pendant encore 600 ans. Imaginez, si aujourd’hui en Arménie il y avait 170 000 personnes d’autres nationalités (Les Azerbaïdjanais, NDLR) qui étaient ici avant 1988, nous n’aurions pas d’État aujourd’hui. Il faut se rappeler que dans trois régions, les Azerbaïdjanais étaient majoritaires : Vardenis, Masis et Amasya. Ils constituaient une part importante dans le corridor de Zanguezour. Et ce problème a été résolu. Il ne nous est pas venu comme un cadeau du ciel. Ce problème a été résolu par notre mouvement, la lutte de libération nationale de notre peuple. Le mouvement national arménien et son aile militaire – nos unités d’autodéfense, « Yerkrapah ». La même chose en Artsakh. Aujourd’hui, tout le territoire de l’Artsakh, et bien plus encore, est aux mains des Arméniens »

Et pourtant, aveugle et sourde à cet aveu d’une clarté difficilement discutable, la France a décidé d’armer l’Arménie : en 2023, des véhicules Bastion fabriqués par Arquus, initalement prévus pour l’Ukraine, ont été livrés à l’Arménie, ainsi que 50 blindés VAB MK3. Un contrat portant sur des radars Ground Master (GM200) de Thales a été signé. En 2024, un autre contrat a été signé pour la livraison de fusils de précision PGM ainsi qu'une lettre d'intention pour la formation d'officiers arméniens.

L’Arménie, sous le prétexte de vouloir à renforcer ses capacités de défense, cherche clairement à s’armer dans l’espoir d’effacer un jour l’humiliation de la libération du Karabakh, et c’est naturellement vers la France, son alliée de toujours, qu’elle se tourne.

Les accords passés entre la France et l’Arménie ont provoqué la colère du président de l’Azerbaïdjan, qui a déclaré, lors d’une interview : « L'Arménie doit cesser immédiatement de s'armer. La France et les autres pays qui fournissent des armes à l'Arménie doivent mettre fin à ces contrats et les annuler. Les armes qui ont déjà été livrées à l'Arménie doivent être restituées. C'est notre condition ».

Pourquoi deux poids et deux mesures ?

Mais pourquoi la France s’est-elle rangée de manière inconditionnelle du côté de l’Arménie, au point de passer sous silence la pose, par les forces d’occupation, de centaines de milliers de mines terrestres dans les territoires libérés par l’armée de Bakou, au mépris de toutes les conventions internationales, et d’approuver l’invasion arménienne de 1993, alors que dans le même temps, elle condamne l’entrée des troupes russes en Ukraine ? Pourquoi deux poids et deux mesures ?

Il y a deux raisons à cela. La première est la volonté de ne pas se mettre à dos l’importante communauté arménienne de France. Certes, la diaspora ne constitue pas un ensemble électoral homogène. Ses comportements électoraux ne sont pas différents de l’ensemble des Français. En revanche, l’attitude des candidats à l’égard du conflit du Caucase peut fortement influencer le vote des Arméniens de France. Un risque qu’aucun parti, y compris celui du Président, ne veut courir.

La seconde raison est plus d’ordre idéologique. Emmanuel Macron a choisi de reprendre à son compte les théories de l’extrême droite sur une prétendue « guerre de civilisations » qui opposeraient l’occident chrétien à l’orient musulman. L’Arménie est vue comme une sorte de rempart chrétien à une prétendue expansion musulmane. C’est explicitement ce qu’argumentent les partis de droite extrême, dont certains représentants appartiennent à l’actuel gouvernement.

L’autre grief avancé par Emmanuel Macron lors de son discours aux ambassadeurs est l’activité du Groupe d’initiative de Bakou qui entend soutenir les peuples colonisés ou en situation de néo-colonisation dans leur lutte pour leur indépendance. Ce soutien se limitant d’ailleurs à la possibilité de s’exprimer à l’international. Mais pour Emmanuel Macron, c’est l’Azerbaïdjan qui est responsable des manifestations qui ont secoué les territoires français ultra-marins, et non la mainmise des vieilles familles blanches qui mettent les Antilles sous coupe réglée, ni l’abandon de la Métropole face aux problèmes de sécurité ou de niveau de vie. Le fiasco de la gestion de la catastrophe naturelle qui vient de secouer Mayotte en est pourtant la désolante illustration.

Cette attitude a suscité la réaction du président Aliyev qui a ironisé : « Il semble que le président français a une sorte d’obsession et veut nous imputer tous ses problèmes. Est-ce que le président d’un pays important est troublé par les actions d’une petite nation de 10 millions d’habitants, située loin dans la région du Caucase ?! Cependant, nous n’avons rien à voir avec les affaires intérieures de la France. En termes simples, cette situation est le résultat d’approches erronées et de politiques inadéquates … S’il existe un consensus dans les cercles politiques français, c’est un consensus fondé uniquement sur l’azerbaïdjanophobie »

Il est en effet regrettable que des considérations de politique intérieure influencent la politique extérieure de la France. Une politique qui apparaît de plus en plus incohérente, comme d’ailleurs la gestion des affaires internes du pays. Cela explique largement la défiance des Français à l’égard de leur président, puisque 60% d’entre eux souhaitent sa démission.

Le problème est qu’il n’existe pratiquement pas de solution de relève. Du moins parmi les successeurs déclarés à Emmanuel Macron. C’est ce qu’a regretté Ilham Aliyev : « Malheureusement, il n’y a pas de différences entre le gouvernement actuel et ceux qui ambitionnent de prendre le pouvoir en France. Il suffit de se rappeler les déplacements au Karabagh occupé pendant la période où les forces de maintien de la paix russes étaient présentes. Ces déplacements ont été effectués par des opposants au président français actuel, comme la maire de Paris, qui s’est d’ailleurs présentée aux élections, la présidente de la région Ile de France, qui était également une rivale du président Macron lors des élections, et M. Barnier, qui a occupé brièvement le poste de Premier ministre récemment. Tous ont cherché à se montrer aux côtés des Arméniens ».

Une attitude incohérente et destructrice

Cette attitude hostile à l’Azerbaïdjan est d’autant plus incohérente qu’elle va à l’encontre de l’intérêt même des Arméniens du Caucase qui ont vu leur pays économiquement ruiné par des guerres inutiles, sans compter les soldats morts pour les rêves de grandeur de quelques excités, et qui n’aspirent à la paix et au rétablissement de relations normales avec leurs voisins, notamment la Turquie et l’Azerbaïdjan. En s’alignant sur la position des extrémistes de la diaspora française qui exacerbe l’esprit revanchard des nationalistes arméniens, le gouvernement français ne fait que ralentir les efforts des deux présidents azerbaïdjanais et arméniens qui ne sont qu’à quelques encâblures d'une paix durable. Comme vient de le souligner le président azerbaïdjanais, « Nous n'avions rien contre eux et n'avons rien fait de mal. C'est eux qui nous ont attaqués. Pendant la guerre de 44 jours, je ne me souviens pas exactement combien de fois - six ou sept - j'ai reçu des appels du président français, qui tentait d'arrêter notre lutte pour la libération. Après cela, il y a eu des tentatives de nous menacer, notamment de reconnaître le « Haut-Karabagh ».

Pourtant, jusque là, les relations entre la France et l’Azerbaïdjan étaient au beau fixe. « Nous avions des relations de jumelage avec 13 villes de France. Il y avait tellement d’événements culturels » a noté Ilham Aliyev. Mais les partis extrémistes arméniens, comme le Dashnak, pèsent d’un poids considérable, à la fois sur la diaspora arménienne et sur les medias français qui, à leur tour, influencent les opinions publiques. Ils ont compris ce que peut-être l’Azerbaïdjan n’a pas encore réellement pris en compte : la guerre de l’information est susceptible de leur faire gagner sur le plan diplomatique ce qu’ils ont perdu sur le terrain. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si des militants arméniens sont présents à la tête des rédactions dans les principaux organes de presse français et si Frank Mourad Papazian, représentant du Dashnak en France, possède une grande partie des écoles françaises de journalisme. Le résultat est que, comme le souligne le président Aliyev, « Les dirigeants de la classe politique française ont vu notre victoire en 2020 comme leur propre défaite, même s'il n'y avait aucune raison de penser de cette façon ».

Cette situation n’augure rien de bon quant aux relations futures entre l’Azerbaïdjan et la France. Pourtant, affirme Ilham Aliyev, « Concernant l'établissement de contacts entre l’Azerbaïdjan et la France “notre réponse a toujours été : « Nous sommes prêts ». Oui, nous sommes prêts aujourd'hui, mais nous n'irons nulle part, ni à Paris, ni à Bruxelles. Si vous voulez nous rencontrer, vous pouvez nous rencontrer ici à Bakou […] Nous n’avons rien à reprocher à la France, et nous n'avons aucune prétention à l'égard de ce pays. L'essentiel est qu'ils ne nous touchent pas, qu'ils n'interviennent pas dans nos affaires et qu'ils ne se mêlent pas des affaires du Caucase du Sud. C'est une exigence que nous formulons très clairement ». C’est dans ce sens que travaille la diplomatie azerbaïdjanaise en France. Depuis le déclenchement de la guerre de libération, l’ambassade d’Azerbaïdjan en France a travaillé, et continue de le faire, sur deux tableaux : d’une part des actions légales contre des initiatives allant à l’encontre du droit international, comme les tentatives de jumelage entre des villes françaises et des villes du Karabakh occupé. Et d’autre part une politique de dialogue avec les autorités françaises, d’intervention dans les medias – du moins lorsque ceux-ci acceptent d’ouvrir le débat - et de rapprochement culturel, en particulier en organisant des concerts, des expositions et des conférences.

Que ce soit sur le plan culturel, économique, ou géopolitique, tous les feux sont au vert pour que les relations entre l’Azerbaïdjan et la France retrouvent leur chaleur d’antan. Encore faut-il que cette dernière ne ferme pas les yeux à la croisée des chemins.

Jean-Michel Brun

Loading...
L'info de A à Z Voir Plus