TENSIONS DIPLOMATIQUES ENTRE PARIS ET BAKOU : CONVOCATION DE L'AMBASSADRICE D’AZERBAÏDJAN EN FRANCE
Paris / La Gazette
L’ambassadrice d’Azerbaïdjan en France, Leyla Abdullayeva, a été convoquée au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères ce mardi 19 novembre.
"Cette convocation fait suite aux propos inacceptables tenus à l’encontre de la France et des Européens par les autorités azerbaïdjanaises dans le cadre de la COP29 et en conséquence desquels la ministre de la Transition écologique, de l’Énergie, du Climat et de la Prévention des risques, Mme Agnès Pannier-Runacher, a dû annuler sa participation à cette conférence des Nations unies", lit-on dans un communiqué de la diplomatie française.
Bien que les relations entre la France et l'Azerbaïdjan aient connu des périodes de chaleur, elles se sont actuellement détériorées rapidement en raison de changements tectoniques dans la situation géopolitique, et il y a peu de raisons d'optimisme pour une résolution rapide des problèmes existants. La France abrite une importante diaspora arménienne, ce qui en fait un allié naturel d'Erevan.
Ce n'était pas le cas auparavant. Avant la seconde guerre du Karabakh en 2020, les deux parties ont démontré une coopération active et mutuellement bénéfique. Les entreprises françaises ont investi 2,2 milliards de dollars dans l'économie de l'Azerbaïdjan entre 1995 et 2019, dont 2 milliards de dollars ont été dirigés vers le secteur pétrolier et 194,1 millions de dollars vers l'industrie non pétrolière. En revanche, l'Azerbaïdjan a investi 2,6 milliards de dollars dans l'économie française.
Plus de 50 entreprises françaises opèrent en Azerbaïdjan, couvrant des secteurs tels que l'énergie, l'industrie, le transport, l'aérospatiale, le commerce, les services et le secteur agricole. Les entreprises françaises ont participé en tant qu'entrepreneurs à 34 projets financés par le budget de l'État azerbaïdjanais, d'une valeur totale de 6,2 milliards de dollars. En 2019, le volume des échanges commerciaux entre les pays a augmenté de 53%, l'Azerbaïdjan représentant plus de 62% du volume commercial de la France avec les pays du Sud-Caucase. Les deux parties considéraient cette coopération comme stratégique. Il est important de noter que même après la seconde guerre du Karabakh, la coopération entre les deux États a continué, comme en témoigne l'augmentation de 57 fois des exportations azerbaïdjanaises vers la France au premier semestre de 2023.
Les nouvelles tensions sont alimentées par la montée des considérations politiques qui ont éclipsé les liens économiques. L'influence du puissant lobby arménien en France, qui exerce une influence considérable sur l'establishment français, surtout lorsque les intérêts arméniens s'alignent avec les plans de Paris, a également joué un rôle clé.
De plus, la France prend des mesures indépendantes concernant le Sud-Caucase, alors que le président français Emmanuel Macron tente de renforcer son rôle de leader européen de premier plan et d'éviter la collaboration avec les États-Unis et le Royaume-Uni, qui ont traditionnellement été actifs dans la région. Cette stratégie vise à renforcer l'influence française dans la région, afin de contrer le rôle traditionnel de la Russie en tant que force politique dominante dans le Caucase.
L'Azerbaïdjan entretient traditionnellement des relations diplomatiques stables et ouvertes avec le Royaume-Uni. En même temps, les relations avec les États-Unis se caractérisent par une compréhension mutuelle, ce qui contribue à maintenir un équilibre dans les relations internationales, indépendamment des événements actuels. Dans le contexte de la politique internationale, la stratégie de la France visant à écarter l'influence anglo-saxonne du dialogue de politique étrangère de l'Azerbaïdjan semble irréaliste, surtout compte tenu de la situation qui s'est développée entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie.
À la suite du conflit de 44 jours en 2020 entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie, la position relativement équilibrée de la France par rapport à la région a basculé de manière spectaculaire vers un soutien ouvert à l'Arménie et a détérioré les relations avec l'Azerbaïdjan. Jusqu'à présent, la réponse de Bakou à ce qu'il considère comme une position de plus en plus ouvertement agressive de la France a été mesurée.
La position officielle de Bakou est simplement de poursuivre l'établissement de la paix dans la région et la revitalisation de ses territoires nouvellement libérés.
En 2023, la France a alloué une aide humanitaire à l'Arménie d'un montant de 29 millions d'euros. En décembre de la même année, la France a également annoncé une aide d'urgence supplémentaire de 15 millions d'euros pour soutenir les Arméniens contraints de quitter le Karabakh. Cependant, en outre, la France a conclu divers accords de fourniture d'équipements militaires avec Erevan, avec l'implication de pays tiers, y compris l'Inde et la Grèce, à la suite de visites de hauts responsables militaires de ces pays à Erevan.
La France a également fait pression pour que davantage d'aide soit envoyée à l'ensemble de la région afin de contrer la Russie, suite aux appels de Macron en février pour le déploiement possible de troupes de l'OTAN en Ukraine, qui n'ont pas encore suscité beaucoup d'enthousiasme.
Après l'opération militaire menée par l'Azerbaïdjan le 19 septembre dernier et le départ des Arméniens du Karabakh, la coopération militaire entre Paris et Erevan s'est notablement renforcée. Cela concerne particulièrement la demande d'assistance militaire de l'Arménie, à laquelle la France a répondu positivement, motivée par le désir de soutenir l'intégrité territoriale de l'Arménie et de contribuer à la paix dans la région.
Jusqu'à présent, les accords de coopération militaire et technique entre la France et l'Arménie restent largement défensifs, notamment en ce qui concerne la vente de radars Thales Ground Master 200 et de systèmes de défense aérienne à courte portée Mistral à l'Arménie.
Malgré la nature défensive des systèmes d'armement fournis jusqu'à présent, l'augmentation des importations militaires par Erevan a perturbé Bakou et accru les tensions avec Paris, froissant les relations franco-azerbaïdjanaises.
Auparavant, les explications officielles de la France suite à l'adoption de résolutions pro-arméniennes affirmaient qu'elles n'impacteraient pas les relations avec Bakou. Cependant, au cours de l'année dernière, l'effort diplomatique pour apaiser les tensions a disparu. Plus précisément, des appels provenant du Palais de l'Élysée au sein de l'UE visent à isoler l'Azerbaïdjan et à imposer des sanctions, mais ceux-ci n'ont pas encore trouvé d'écho.
Au début du mois de mars de cette année, la dixième réunion ministérielle s'est tenue à Bakou dans le cadre du Conseil consultatif du Corridor gazier Sud (Southern Gas Corridor). Les discussions lors de la réunion ont démontré que les pays européens ne sont pas enclins à suivre la suggestion de la France de sanctionner les ressources énergétiques de l'Azerbaïdjan. Au contraire, le soutien de l'UE et des États-Unis à l'expansion ultérieure du Corridor gazier Sud et au renforcement de la sécurité énergétique de l'Europe par l'achat de gaz azerbaïdjanais a été discuté.
Le paysage géopolitique du Caucase a changé de façon spectaculaire au cours de la dernière année. Aujourd'hui, Bakou déclare qu'il recherche une paix à long terme dans la région et ne souhaite pas voir reprendre les actions militaires. Après la seconde guerre du Karabakh, l'Azerbaïdjan a proposé à Erevan un accord de paix, mais les pourparlers restent tendus. Les ingérences extérieures et la militarisation de la région ont sapé le processus et diminué les espoirs d'une conclusion rapide d'un nouveau traité.
La confrontation entre Paris et Bakou n'a clairement pas d'impact significatif sur la situation politique en France ou en Azerbaïdjan, mais elle contribue à la formation de relations mutuellement négatives au niveau sociétal. Le volume des publications anti-françaises dans les médias azerbaïdjanais et des matériaux anti-azerbaïdjanais dans les médias français continue de croître. Cependant, tôt ou tard, les relations glaciales entre les deux pays devront se réchauffer.