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APPEL POUR L’ENVOI DE SOLDATS FRANÇAIS EN ARMÉNIE : NOS « PERSONNALITÉS » ONT-ELLES PERDU LA TÊTE ?

20 Juin 2024 20:08 (UTC+01:00)
APPEL POUR L’ENVOI DE SOLDATS FRANÇAIS EN ARMÉNIE : NOS « PERSONNALITÉS » ONT-ELLES PERDU LA TÊTE ?
APPEL POUR L’ENVOI DE SOLDATS FRANÇAIS EN ARMÉNIE : NOS « PERSONNALITÉS » ONT-ELLES PERDU LA TÊTE ?

Paris / La Gazette

Des « personnalités » françaises ont lancé, dans le magazine « Le Point », qui laisse d’ordinaire une large place, dans ses couvertures et ses sommaires, à des thématiques islamophobes, une « lettre » au président Emmanuel Macron, l’invitant à envoyer des forces armées françaises en Arménie.

Par Jean-Michel Brun

Cette tribune présente un florilège de lieux communs chers aux défenseurs d’un chimérique « occident chrétien » : les méchants Turcs, la détestation de l’Azerbaïdjan, peut-être parce que ce pays représente tout ce que les suprémacistes détestent : le cosmopolitisme et le multiculturalisme.

Usant de l’invective plus que de l’argument, voici l’Arménie, « un pays si proche de nous », « en butte aux menaces que font peser sur son existence des forces se réclamant du panturquisme, dont le fer de lance se trouve actuellement à Bakou » , lequel développe des projets « expansionnistes et criminels ».

C’est oublier un peu vite que l’Azerbaïdjan n’a jamais envahi un pays étranger, au contraire de l’Arménie qui, après la proclamation de l’indépendance des pays du Caucase s’est emparé de la province azerbaïdjanaise (et reconnue comme telle par la communauté internationale, France comprise) du Karabakh, et des provinces adjacentes, profitant de la faiblesse de l’armée azérie de l’époque.

Il suffirait d’ailleurs de reprendre la phrase de la tribune : « Jouissant d'une réelle supériorité militaire, acquise notamment grâce à ses revenus gaziers et pétroliers et au soutien de l'État turc, l'Azerbaïdjan est plus tenté que jamais par l'option de l'escalade militaire » et de remplacer « à ses revenus gaziers et pétroliers et au soutien de l'État turc » par « au soutien de l’État russe » et Azerbaïdjan par Arménie, pour se retrouver exactement dans la situation qui était celle de l’invasion arménienne du Karabakh en 1993.

Mais le renversement des faits n’est pas fait pour émouvoir les signataires, Démosthènes au petit pied et leur lyrisme à deux sous : « Il nous semble qu'en faisant aussi flotter le tricolore dans ce pays en danger, tout en y affirmant leur vocation exclusivement pacifique, elles y feraient revivre le souffle de l'espoir, de la solidarité et de la liberté, et qu'elles renforceraient par là même notre propre système immunitaire contre les vents mauvais du totalitarisme, de l'obscurantisme et du repli sur soi. »

Il serait cruel de rappeler que si repli sur soi il y a, ce n’est surement pas du côté azerbaïdjanais et de ses innombrables cultures et religions qui cohabitent et travaillent ensemble à l’essor de la nation, notamment les communautés juives qui sont les mieux protégées du monde. En regard, se trouve l’Arménie, mono-ethnique, uni-religieuse qui, en 1987, à l’époque même des « républiques sœurs » de l’Union soviétique, a jeté sur les routes de l’exil les 350 000 azeris qui étaient nés et avaient vécu depuis des siècles en Arménie, qui s’est illustrée en incendiant, en 2023, l’unique synagogue du pays, et dont l’un des héros nationaux dont la statue trône dans les principales villes arméniennes, Garéguine Njdeh, fut le leader de la « Légion arménienne » nazie, et membre du « Conseil national arménien », créé à Berlin en 1942, et patronné par Alfred Rosenberg , l’idéologue du Reich.

Alors on peut se demander quelle mouche a piqué les signataires de cette lettre à l’heure où, précisément, le Premier ministre arménien Nikol Pachinyan prépare à la fois avec son homologue azerbaïdjanais un plan de paix durable entre les deux pays, et avec le président turc Recep Tayyip Erdogan la normalisation des relations entre les deux pays « sans aucune condition préalable ».

Les Français seraient-ils plus arméniens que les Arméniens eux-mêmes ?

C’est comme si les signataires de la lettre défendaient, non pas l’Arménie, mais les ultra-nationalistes arméniens, qui fantasment sur une « Grande Arménie », et dont les bras armés ont été entrainés au Liban, au moment des conflits israélo-palestiniens, et qui ne connaissent d’autre langage que celui de la guerre et de la guerilla.

C’est d’ailleurs probablement ce qui se passe. Le bourrage de crâne médiatique exercé sur le public français par des journaux qui relaie systématiquement les thèses de la droite extrême arménienne, laquelle voue aux gémonies le premier ministre arménien, trouve son écho chez certains politiciens français qui y voient un miroir de leur propre idéologie suprémaciste et islamophobe.

Depuis le début de la guerre de 2020, la diaspora française, profitant notamment des largesses du milliardaire Ruben Vardanyan, grand argentier de la « République d’Arstakh », a pu diffuser sans être contredite, grâce à la complicité des medias français où elle est fortement impliquée, les thèses du « nettoyage ethnique », de la menace d’invasion, du danger de destruction du patrimoine culturel, et même des risques de famine qui menaceraient l’Arménie. Aucune des images du saccage des villes du Karabakh, du bombardement de Ganja, des mines anti-personnel enfouies par les soldats arméniens, ou du massacre de Khodjaly n’ont été diffusées par ces médias soumis au diktat arménien. De même, aucun Azerbaïdjanais n’a jamais été invité sur les plateaux des émissions consacrées à la situation dans le Caucase. Seuls les Arméniens avaient le droit de parole. On ne s’étonnera d’ailleurs pas que le magazine le Point ait eu la primeur de cette tribune. Sa directrice de la rédaction, Valérie Toranian ville au grain.

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On ne s’étonnera pas non plus de voir en bas de page, aux côtés des militants arméniens, les noms de ceux, qui, à longueur d’exposition médiatique, s’en prennent aux musulmans et nient, ou minimisent, l’existence de l’islamophobie d’État.

On ne peut s’étonner de tout cela, on est tout de même en droit de s’en offusquer.

Et les Arméniens d’Arménie dans tout ça ? Comme l’a souligné à plusieurs reprise Nikol Pachinyan, ils sont d’abord les victimes, non seulement des ultra-nationalistes, mais aussi de cette diaspora qui, bien au chaud en France, a écrit la chanson de geste arménienne et pousse à la guerre les jeunes Arméniens dans l’espoir que la légende devienne un jour réalité. Sans pour autant, bien sûr, manifester la moindre velléité d’aller vivre à l’ombre du mont Ararat.

Il y a toutefois de quoi s’inquiéter. Des deux leaders de la communautés arménienne en France, l’un, Mourad Papazian, a été interdit de séjour en Arménie, et l’autre, Ara Toranian, ancien époux de Valérie, fut le porte-parole de ceux qui soutenaient l’Armée Secrète Arménienne de Libération de l’Arménie (ASALA) qui posa en 1983 une bombe à l’aéroport d’Orly. Celui-ci a aujourd’hui entrée libre à l’Élysée.

Il y a de quoi plaindre les Arméniens d’être défendus par de telles personnes.

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