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L’ÉTRANGE AFFAIRE MARTIN RYAN

14 Janvier 2024 20:20 (UTC+01:00)
L’ÉTRANGE AFFAIRE MARTIN RYAN
L’ÉTRANGE AFFAIRE MARTIN RYAN

Paris / La Gazette

Un entrepreneur français, Martin Ryan, a été arrêté à Bakou pour soupçon d’espionnage. Une étrange affaire liée à l’expulsion, par Bakou, de deux diplomates français.

Le 26 décembre, l’Azerbaïdjan expulsait deux diplomates français pour des activités « incompatibles avec leur statut ». La France avait déclaré « persona non grata » deux diplomates azerbaïdjanais par « mesure de réciprocité ». Un « échange de bons procédés » qui illustre les tensions entre les pays à propos du soutien inconditionnel de la France à l’Arménie, ou du moins aux groupes séparatistes revendiquant une « République d’Artsakh », puisque les gouvernements de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan ont décidé de s’engager dans un processus de normalisation de leurs relations.

Qu’en est-il exactement de cette affaire ?

Fin décembre, l’ambassadrice de France, à Bakou Anne Boillon, était donc convoquée au ministère azerbaïdjanais des Affaires étrangères azerbaïdjanais pour se faire notifier « une protestation ferme contre des actes de deux employés de l’ambassade de France incompatibles avec leur statut diplomatique », Les deux diplomates étaient invités à quitter l’Azerbaïdjan sous les 48 heures, le communiqué de la diplomatie azerbaïdjanaise ne donnant pas plus de détail sur les raisons de cette expulsion.

Or, le 4 décembre, un ressortissant français de Bakou, Martin Ryan, avait été arrêté pour activités d’espionnage. Après une première audition, « La justice a ordonné sa détention pour une durée de quatre mois », annonçait l’ambassadrice d’Azerbaïdjan en France, Leyla Abdullayeva, précisant que « dès son arrestation, l’ambassade de France à Bakou a été informée par une note verbale ».

Martin Ryan est le PDG de la société Merkorama basée à Bakou et spécialisée dans le négoce de vin. Il s’était pourtant fait connaître en adressant au président de la République française une lettre ouverte datant du 26 mai 2023 et publiée sur Youtube ainsi que dans le magazine français « Causeur ». Cette lettre demandait à la France de changer sa politique de dénigrement à l’égard de l’Azerbaïdjan, insistait sur le fait que celui-ci était non l’agresseur, mais l’agressé, pointait les menaces que les activistes arméniens faisaient peser sur la presse française qui n’adoptait pas leur point de vue, rappelait que la France et l’Azerbaïdjan étaient deux pays de grande culture que tout devait rapprocher, fustigeait les calomnies proférées par certains politiciens à l’égard de l’Azerbaïdjan, et appelait à reconstruire les liens d’amitié entre les deux pays. Il indiquait en outre que les Français vivant en Azerbaïdjan étaient traités de la meilleure façon et que la politique inconditionnellement pro-arménienne de la France leur portait un préjudice évident.

Le jeune français apparaissait donc à l’évidence comme un soutien à l’Azerbaïdjan. Mais selon des informations fuitées depuis fin décembre dans les medias, il aurait été approché par un agent français de la 2e DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), qui l'aurait engagé dans une coopération secrète. Selon les mêmes informations, Martin Ryan aurait reconnu s’être fait manipuler par cet agent, qui fait partie des diplomates français expulsés de Bakou par la suite.

Comme le faisait remarque le spécialiste français François Heisbourg sur LCI : « Les activités de renseignements des ambassades sont choses courantes et implicitement admises d'ailleurs. L'essentiel est de ne pas se faire prendre les mains dans le pot à confiture, ce qui semble avoir été le cas cette fois-ci. »

Le ministre azerbaïdjanais des Affaires étrangères, Djeyhoun Baïramov, a déclaré, lors de la conférence de presse qui a suivi l’expulsion des diplomates :

"Deux employés de l’ambassade de France en Azerbaïdjan ont été déclarés persona non grata. Mais, deux jours avant cela, nous avons envoyé une note verbale à l’ambassade de France. La présence de faits graves liés à ces personnes dans les organismes étatiques de l’Azerbaïdjan, l’importance et la nécessité de mener une enquête sur eux ont été exprimées. Mais ils ont refusé d’effectuer une enquête."

La seule réponse du Quai d'Orsay a été une mesure de réciprocité, également habituelle en diplomatie, destinée finalement à remettre les compteurs à zero : "Tu me prends un pion, je t'en prends un. On est quitte et on oublie cette affaire"

Bakou ne semble pourtant pas l'entendre tout à fait de cette oreille : « Si l’État français était convaincu de l’innocence de ses employés, il pourrait le faire. On n’a reçu aucune réponse de leur part. Hier, la France a déclaré persona non grata deux employés de notre ambassade. Il y a une différence entre les mesures prises par nous et celles qui sont prises par la France. Nous parlons avec des preuves et des faits. Cet acte de la partie française, qui est tout à fait infondé, était une autre démarche fautive effectuée par ce pays », a précisé Djeyhoun Baïramov.

Même attitude du Quai d’Orsay à propos de l’arrestation de Martin Ryan, qui juge cette détention « arbitraire » et a demandé la « libération sans délai » du ressortissant français. Une réaction attendue, dans la mesure où il est bien rare qu’un pays avoue ses activités d’espionnage et dénonce ses agents. Depuis l’arrestation de l’entrepreneur français, des responsables consulaires de l’ambassade de France à Bakou lui ont rendu visite à plusieurs reprises et « ont toutes les informations sur l’enquête », selon un communiqué. de l’ambassade. « On a parlé avec lui quatre fois, chaque fois deux minutes. Il dit qu’il est bien traité et qu’il s’entend bien avec son avocat », avait assuré le père du détenu à l’AFP peu après son arrestation.

Quant à la réciprocité, s’il a été facile de désigner comme persona non grata un diplomate chevronné de l’ambassade d’Azerbaïdjan à Paris, il a été plus compliqué d’en trouver un deuxième, tant, contrairement à ce que prétendent les lobbyistes anti-azerbaïdjan, les activités de renseignements de l’ambassade sont limitées. On a donc un tiré au sort le plus jeune, un peu comme dans la chanson « Il était un petit navire ».

En réponse à la déclaration du Quai d’Orsay, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères de l'Azerbaïdjan, Aykhan Hajizada, a déclaré : « Nous exhortons vivement la partie française à cesser son ingérence dans les affaires intérieures de l'Azerbaïdjan. Les affirmations du ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères selon lesquelles la détention de leur citoyen est arbitraire sont nulles et non avenues. Cette déclaration sans fondement est une autre tentative de déformer la réalité et d’intervenir dans les affaires intérieures de l’Azerbaïdjan et dans le processus d’enquête judiciaire.

Martin Ryan, citoyen français, a été arrêté le 4 décembre 2023, soupçonné d'avoir commis le crime visé à l'article 276 (espionnage) du Code pénal de la République d'Azerbaïdjan. Plus tard, le tribunal a pris une décision concernant la détention provisoire de cette personne pendant 4 mois.
La partie azerbaïdjanaise a pleinement respecté la législation nationale et les obligations internationales en prenant des mesures contre le citoyen français mentionné. Depuis son arrestation, les agents consulaires de l'ambassade de France ont rendu visite au suspect à plusieurs reprises et sont parfaitement au courant de l'affaire.
En outre, malgré le fait que le ministère des Affaires étrangères de l'Azerbaïdjan a adressé une note verbale à l'ambassade de France en Azerbaïdjan demandant l'ouverture d'une enquête sur l'affaire concernant la collaboration de la personne mentionnée avec deux employés de l'ambassade de France, la partie française a refusé de fournir des explications et a refusé de coopérer à l’enquête. Ces deux employés ont donc été déclarés persona non grata par l'Azerbaïdjan. »

Des relations hypertendues

Cette affaire d’espionnage est à placer dans le cadre de la tension qui grandit de jour en jour entre les deux pays. Le président azerbaïdjanais Ilham Aliev reproche à la France de soutenir l’Arménie dans le conflit qui l’oppose à l’Azerbaïdjan. En novembre, il avait accusé Paris de « préparer le terrain pour une nouvelle guerre » dans le Caucase en « armant » l’Arménie, après l’annonce de la vente à Erevan d’équipements français pour sa défense sol-air.

Les multiples voyages de représentants de la France à Erevan, comme la ministre Catherine Colonna, la maire de Paris Anne Hidalgo, la président de la région Ile de France Valérie Pécresse, ou le chef du parti LR Eric Ciotti, ainsi que les aides financières apportées à l’Arménie ont exaspéré les autorités azerbaïdjanaises.

De son côté, Paris avait accusé des acteurs liés à l’Azerbaïdjan d’avoir mené une campagne de manipulation visant à porter atteinte à la réputation de la France avant les Jeux olympiques 2024. Effectivement, les medias azerbaïdjanais avaient publié sur les réseaux sociaux des images caricaturant la maire Anne Hidalgo au milieu des poubelles, des rats, et des punaises de lit, mais ces posts, qui rappelaient que Anne Hidalgo devrait sans doute plus s’occuper des Parisiens et moins de l’Arménie, ne faisaient que reprendre les critiques acerbes des Parisiens sur la gestion de la Mairie et leurs craintes à l’égard de sa capacité à mettre en place la logistique nécessaire à l’organisation des J.O. L’idée qu’il s’agissait d’une manipulation orchestrée par les autorités de Bakou avait été suggérée par l’agence de veille numérique « Vignum », qui n’est pas une société indépendante, mais une organisation crée par l’État français et pilotée par les services de renseignements extérieurs.

De même Paris est extrêmement agacé de voir l’Azerbaïdjan, qui présidait jusqu’à cette année l’organisation des pays non alignés, héberger le « Groupe d’initiative de Bakou » dont la mission est de donner la parole aux territoires qui sont, ou s’estiment être, en situation de colonisés. Parmi les représentants du groupe de Bakou, on trouve notamment les dirigeants des partis indépendantistes des Antilles, Polynésie, Nouvelle Calédonie, et de la Corse. On y trouve également les pays s’estimant victimes du reliquat de la « Françafrique ».

La France a donné asile un jeune repris de justice azerbaïdjanais se faisant passer pour un influenceur persécuté, tandis que Bakou reproche à la France de laisser les activistes arméniens menacer de mort les journalistes, comme la reporter Liseron Boudoul, qui démentent leurs allégations.

Il est vrai que, depuis la reprise, par l’Azerbaïdjan, de ses terres occupées pendant presque trente ans, la France a affiché un soutien inconditionnel à la version arménienne des événements, alors même qu’elle était censée, par son appartenance au groupe de médiation dit « Groupe de Minsk », adopter une attitude de stricte neutralité. Cet appui s’explique bien entendu par la présence, en France, d’une puissante diaspora arménienne qui s’est largement investie dans la politique et les medias, mais aussi par l’instrumentalisation du conflit exercée par la droite française qui pèse de plus en plus sur la politique française.

Dans ce contexte, comment et de quelle façon, Martin Ryan a-t-il été « manipulé » par les services français ? Promesse, menaces ? Et pour quelles infos ?
Pour le moment, rien n’a fuité de la justice azerbaïdjanaise qui continue, explique-t-elle, de mener son enquête. Nous en saurons peut-être plus dans quelques jours ou semaines… ou pas. Diplomatie secrète oblige…

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