LA FRANCE ET L’AZERBAÏDJAN : SI PRÈS, MAIS POURQUOI SI LOIN ?
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Paris / La Gazette
La France et l'Azerbaïdjan, qui ont tant de points en commun, semblent s'ignorer l'un l'autre. La faute à qui ? Aux politiciens français qui instrumentalisent à leur profit une propagande anti-azerbaïdjanaise. Pourtant l'Azerbaïdjan reste un pays profondément francophile.
Franchement, on ne comprend pas.
Tout rapproche la France de l’Azerbaïdjan, deux pays d’une infinie richesse culturelle. Il suffit d’évoquer Nizami Ganjavi, promoteur, au XIIe siècle, des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, qui seront celles du siècle des Lumières, cinq siècles plus tard ; la princesse-poétesse Natavan, francophile et francophone, qu’Alexandre Dumas avait rencontrée et admirée, l’architecture de Bakou, inspirée de celle d’Haussmann, qui a fait appeler la capitale de l’Azerbaïdjan « le Paris du Caucase ».
On peut aussi évoquer la musique. Celle, traditionnelle, du Mugham, et une autre, plus classique, puisqu’en 1908 fut joué le premier opéra du monde musulman : Leyli et Majnun, du compositeur azéri Uzeyir Hadjibeyov, dont une représentation fut donnée devant le Général de Gaulle lors de sa visite en 1944. Bakou est aussi l’une des capitales mondiales de la peinture, avec un foisonnement d’artistes de renom, comme Vugar Muradov, Anar Huseynzade, Farid Rasulov et tant d’autres.
L’Azerbaïdjan est un pays pionnier de l’émancipation des femmes, auxquelles il a donné le droit de vote 25 ans avant la France. Enfin, il est l’un des pays les plus multiculturels de la planète avec ses mosquées , chiites et sunnites, ses synagogues, ses églises, ses temples, et ses peuples dont les traditions sont préservées et encouragées. Il est également le premier pays laïque de la région.
Alors, on ne comprend pas. On ne comprend pas pourquoi les politiciens français vomissent autant de haine envers un pays si francophile, pourquoi une ville veut enlever la statue de la poétesse Natavan, emblème de l’égalité des sexes, pourquoi enfin la France soutient-elle mordicus des groupes armés qui ont occupé pendant presque 30 ans l’Azerbaïdjan, au mépris du droit international et des résolutions de l’ONU, pourtant votées par la France elle-même.
Alors, bien sûr, on pourra toujours évoquer la puissance du lobby formé par la diaspora arménienne française, aveugle et jusqu’au-boutiste. Mais pourquoi suivre leur absurde propagande et les tombereaux de haine qu’ils déversent sur le net ?
Et pourtant, malgré tout, les Azerbaïdjanais aiment la France, du moins celle, admirable et admirée, de Molière, Victor Hugo, Zola, et aussi celle de ces étrangers venus apporter leur culture, leur identité, sans jamais se départir de la leur : Leonard de Vinci, Picasso, Dali, Chagall, Giacometti, Ionesco, Beckett, Kundera, Semprún, Chopin, Villa-Lobos, Albeniz, Rachmaninov, Honegger, Miles Davis, Cziffra, et les azerbaïdjanais Robert Hossein et Mstislav Rostropovitch. Il y en a des milliers comme eux qui ont choisi la France comme terre d’accueil.
Les Français qui se rendent en Azerbaïdjan tombent tous amoureux de ce magnifique pays, si éloigné de l’image que les medias français tentent, hélas, d’imposer au public.
Lucie est une jeune doctorante qui a choisi de s’établir à Bakou. Sous le charme du pays, elle a été frappée par les similitudes existant entre les deux cultures, et utilise le théâtre comme vecteur de rapprochement. « Je suis en Azerbaïdjan pour consolider nos relations dans le domaine culturel. » confie-t-elle. « Je crois que le théâtre et plus encore la comédie peut aider à s'ouvrir à un pays sans jugement. C'est un espace universel où la communauté se retrouve, est à égalité. Hélas, dans le contexte actuel, ce n'est pas une mission facile. Mais j'espère trouver des soutiens pour ce type d'initiative en France comme en Azerbaïdjan. Par exemple, j'ai eu deux fois l'opportunité de mettre en scène des pièces de théâtre françaises à Bakou avec les étudiants azerbaidjanais apprenant le français. Une fois à l’Université Franco-Azerbaïdjanaise (UFAZ) avec « Le bourgeois gentilhomme » de Molière et une fois à UFC, un centre de langues étrangères, avec « Le prix du bonheur » d’Alexandre Dumas fils.
Et je fais ma thèse de doctorat sur la dramaturgie. " Les archétypes des personnages littéraires dans l'œuvre de Molière et de Mirza Fatali Akhundov" »
« J'aimerais que l'Azerbaidjan et la France renouent des relations amicales dans le but de consolider leurs partenariats en matière d'éducation et de culture.» ajoute Lucie, « Notamment, avec la création d'expositions de peintres français, de salons littéraires français et scènes théâtrales françaises en Azerbaïdjan, afin que aux yeux des Azerbaidjanais la France ne se limite pas à la Tour Eiffel, aux parfums, aux croissants, et, hélas quelques initiatives irréfléchies.
En France également, j’aimerais que s’ouvre en grand l’accès à la culture et à la langue azerbaidjanaises grâce à des échanges universitaires afin que la vision que les Français ont de l’Azerbaïdjan ne se limite pas au conflit avec son voisin, mais qu’ils constatent la beauté de sa culture, l’hospitalité, la pudeur de ses habitants, et leur amour la beauté en toute chose. »
Serge a habité et travaillé en Azerbaïdjan pendant 6 ans. Il comprend mal, lui aussi, la position « officielle » française sur ce pays : « J’invite les Français à venir découvrir l’Azerbaïdjan par eux-mêmes. Voir Bakou et aussi les autres villes, constater la réalité du multiculturalisme, les différentes ethnies. Il y a ici aussi bien des musulmans, des catholiques, des orthodoxes, des juifs, les minorités Tats, Talishs, Oudis, Lesghgis, et cela, il faut le voir par soi-même. Ici, personne n’est persécuté. Pour moi, cela a été une véritable révélation, et je me suis dit que s’il existe un pays laïque et multiculturel, c’est bien l’Azerbaïdjan. Venez découvrir ce pays, et vous verrez la joie de ce peuple à la fois russe, perse et turc. »
On pourrait aussi parler de Maurice, ancien directeur de l’Institut français de Bakou, fils d’un célèbre académicien français, qui a monté, dans la vieille ville de Bakou, un restaurant où flotte fièrement le drapeau français, sans que cela ne suscite la moindre réprobation des Bakinois.
Quant aux Azerbaïdjanais, malgré les calomnies qu’une certaine France répand sur eux, ils accueillent les Français avec une indescriptible gentillesse, comme si de rien n’était. Les Azerbaïdjanais de France militent même pour que les deux pays retrouvent ce lien qui les unissaient depuis de si nombreuses années, avant que d’autres ne s’emploient à le briser.
Aytan Muradova est la vice-présidente de l’association Dialogue France-Azerbaïdjan, qui organise tout au long de l’année des concerts, des manifestations culturelles.
« Mon grand-père a eu la vie sauve dans un camp de concentration pendant la 2e guerre grâce a un médecin français qui avait partagé avec lui ses maigres provisions», nous raconte-t-elle. « Depuis, dans notre famille, nous avons grandi dans l'amour de la France, de sa littérature, et depuis 30 ans, je m’attache à faire connaître ici l’Azerbaïdjan, sa musique, ses écrivains, sa culture multiethnique unique au monde. En espérant que ce dialogue, instauré jadis entre Heydar Aliyev et François Mitterrand, puis Jacques Chirac, retrouve cette force qui fut la sienne, car elle est nécessaire, y compris pour l’équilibre pacifique de la région ».
Reza Deghati est un photographe de renommée internationale. Ses photos du commandant Massoud ont fait le tour du monde. Il vit entre Bakou et Paris « La France est ma terre d’accueil et mon port d’attache. » se confie-t-il. « Elle est le porte-drapeau d’une des civilisations qui a marqué l’histoire de l’Humanité . L’Azerbaïdjan et la France ont beaucoup des points communs et pourront œuvrer ensemble pour la paix dans la région de Caucase, à condition bien sûr que la France appuie sa politique sur les réalités et non sur ce que lui soufflent les mauvais génies porteurs de haine ».
Maya représente la nouvelle génération de photographes azerbaïdjanais. Du haut de ses 25 ans, son regard perçant capture dans son objectif les contrastes de Bakou, la détresse des territoires dévastés du Karabakh, la mémoire de la vie préhistorique des premiers Caucasiens du Gobustan, et la ferveur des juifs de montagne à Krasnaya Soboda. « La langue francaise a une place à part dans notre famille. Ma tante, mon oncle parlent le français, et dès que j'ai pu, je l’ai appris à mon tour », se félicite-t-elle. « Je suis venue faire les études de photo-journalisme à Paris, j'ai participé à des concours, j'ai réalisé des reportages sur les Gilets jaunes, les zadistes. Aujourd’hui, à côté de mon travail de photographe, j’enseigne la musique au Lycée français de Bakou, un lycée prestigieux, un petit coin de France dans le Caucase ». Ce qu’elle souhaite ? C’est que ses photos contribuent à mieux faire connaître aux Français les subtilités de l’âme azerbaïdjanaise.
Quelle folie a donc pu animer les députés français qui ont choisi de mettre un terme au groupe parlementaire d’amitié franco-azerbaïdjanais ? Quel aveuglement a poussé la maire d’Evian à débaptiser le « Parc de l’Azerbaïdjan », alors que, partout en France, des avenues honorent le Maréchal Bugeaud, assassin de dizaines de milliers d’Algériens ?
Non, la xénophobie, le mythe du « choc des civilisations », la théorie fumeuse du « grand remplacement », ce n’est pas la France. Ces idéologies mortifères sont les avant-postes d’une peste brune qui revient au galop, à grand renfort de populisme, piétiner les valeurs inscrites au fronton de nos édifices depuis la Révolution, et qui n’ont été remplacées qu’au temps sordide de l’occupation.
Mais ne désespérons pas. La paix qui est en train de s’établir directement entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, loin de l’agitation stérile des soi-disant pays « arbitres ». Que diront alors ces politiciens lorsque les deux pays seront redevenus des nations amies ? Qu’ils ont été bien ridicules de prendre parti pour des mouvements qui ont été à l’origine de plusieurs dizaines d’attentats terroristes qui ont fait plus de 70 victimes, alors que l’Arménie et l’Azerbaïdjan s’efforçaient de trouver une solution pacifique à leur conflit ? Peut-être. Mais c’est rarement l’apanage des politiques que de faire acte de contrition. En réalité, les élus français l'ont majoritairement été par défaut, et le peuple ne leur accorde plus aucun crédit. Alors, gageons que, avec ou sans eux, peu importe, l’Azerbaïdjan et la France renoueront des relations amicales qui ne pourront que les enrichir mutuellement.
Lycée français de Bakou (Vidéo de Maya Baghirova)
Jean-Michel Brun