INTERVIEW - Jérôme KELLE, Conseiller de coopération et d’action culturelle auprès de l’Ambassade de France en Azerbaïdjan et Directeur de l’Institut français d’Azerbaïdjan (Exclusif)
Bakou / Lagazetteaz
Le 10 juillet 2020, Jérôme KELLE, Conseiller de coopération et d’action culturelle auprès de l’Ambassade de France en Azerbaïdjan et Directeur de l’Institut français d’Azerbaïdjan, a été interviewé par Lagazetteaz. Voici la transcription de l'interview :
Bonjour Monsieur. La plupart des gens trouve que la culture est le ciment de la société. Et, donc, comment définissez-vous votre mission et quelle action souhaitez-vous mener pour la culture en Azerbaïdjan ?
- Vous avez tout à fait raison. La culture et les langues sont la meilleure façon de créer des liens d’amitié, de respect et d’intérêt réciproque entre les populations de différents pays. C’est pourquoi l’Institut français d’Azerbaïdjan (IFA), rattachée à l’Ambassade de France, s’emploie à mieux faire connaître la culture française en Azerbaïdjan. Pour cela nous promouvons d’abord la langue française pour qu’un maximum d’Azerbaïdjanais puissent bénéficier d’un accès direct aux œuvres culturelles françaises et francophones dans leur langue originale. C’est la mission première de l’IFA qui propose des cours de français tout au long de l’année dans ses locaux à Bakou, et désormais, compte tenu de la pandémie du Covid-19, exclusivement en ligne. L’IFA pour cela s’appuie sur les meilleurs professeurs de français en Azerbaïdjan qui sont soit diplômés d’universités françaises, soit titulaires des certificats officiels de français langue étrangère DALF (Diplôme approfondi de langue française). De cette façon, de nombreux azerbaïdjanais peuvent avoir accès directement à une vaste gamme de produits culturels français accessibles directement via les technologies numériques. Ainsi par exemple les grandes chaînes de télévision internationales en français, telles que TV5 Monde, France 24 ou bien la chaîne culturelle franco-allemande Arte sont directement accessibles gratuitement sur internet. Par ailleurs l’IFA propose l’abonnement à des tarifs très modestes à la médiathèque numérique « Culturethèque » qui donne accès à des milliers de produits culturels francophones contemporains : livres jeunesse, romans, bande-dessinées, journaux et magazines, variétés et musiques françaises contemporaines, films, etc. Par ailleurs, depuis la pandémie, dans l’impossibilité de proposer des spectacles d’artistes français in situ, nous avons développé les offres en ligne : par exemple actuellement nous communiquons beaucoup à travers nos réseaux sociaux sur l’opération « IF cinéma à la carte » qui du 12 juin au 13 juillet propose 10 longs métrages et 10 courts-métrages français et africains accessibles gratuitement avec sous-titres dans de nombreuses langues : anglais, russe, turc, etc. Il s’agit entre autres de films récents avec des acteurs célèbres (Vincent Lindon, Lambert Wilson par exemple) ou des acteurs des nouvelles générations (Florence Loiret-Caille, Samir Guesmi, Céline Salette).
Dans l’espoir que nous pourrons à l’automne re-proposer des activités culturelles in situ, nous préparons actuellement l’opération « Novembre Numérique à Bakou » qui devrait avoir lieu en novembre prochain en partenariat avec le collectif d’artistes azerbaïdjanais « Tar(d)ino 6 ». Des œuvres numériques d’artistes azéris et français devraient être proposées dans la salle d’exposition de ce collectif dans la vieille ville d’Icheri Sheher ainsi qu’en ligne (instagram notamment), tandis que l’exposition « Machine à bulles » devrait proposer de découvrir dans les locaux de l’IFA des œuvres numériques françaises récentes (films d’animation, jeux interactifs, etc.) inspirées du monde de la bande-dessinée.
Aujourd’hui, les jeunes azerbaïdjanais sont de plus en plus intéréssés par l’apprentissage de la langue française. À cette fin, quel est le rôle de l’Institut Français d’Azerbaïdjan ?
- Le français est en effet la troisième langue étrangère apprise par les jeunes azerbaïdjanais après l’anglais et le russe. Nous souhaitons biens sur encourager de plus en plus de jeunes à opter pour le français. Outre les cours proposés par l’IFA, l’ambassade soutient l’enseignement et l’apprentissage du français dans les écoles et les universités. Pour cela nous procédons d’abord à un soutien auprès des professeurs de français en leur présentant les outils pédagogiques de FLE gratuits mis à disposition à travers la médiathèque numérique FRED (France Education) accessible en ligne. Elle propose des milliers de ressources pédagogiques (exercices, jeux, émissions radio, chansons avec fiches pédagogiques, vidéos, manuels, ressources documentaires, etc.) mis à leur disposition gratuitement par les ministères français des Affaires étrangères et de l’Education. Nous leur proposons également des sessions de formation professionnelle à travers des stages organisés ici en Azerbaïdjan ou en France avec des formateurs spécialisés français.
Nous souhaitons aussi lancer à partir de la rentrée scolaire de septembre 2020 des classes pilotes d’enseignement intensif du français pour former dès le plus jeune âge des futures générations d’azerbaïdjanais parfaitement bilingues dans leur langue et en français. Nous sommes en discussion avec le Ministère azerbaïdjanais de l’Education à cet égard pour le faire dans l’Ecole 132-134 de Bakou dans un premier temps puis ensuite l’étendre dans d’autres écoles à Bakou et ailleurs (Shéki, etc.). Il s’agira d’un enseignement d’excellence pouvant à terme permettre aux écoles concernées de prétendre au label officiel « LabelFrancEducation» qui attestera de la qualité de haut niveau de l’enseignement du français en Azerbaïdjan.
Par ailleurs, nous incitons grâce à l’action de notre équipe Campus France Azerbaïdjan les étudiants azerbaïdjanais à poursuivre leurs études supérieures en France, soit en français soit en anglais. La France est la quatrième destination internationale des étudiants étrangers dans le monde. La qualité de l’enseignement y est largement aussi bonne que dans les pays anglo-saxons et le coût de la formation y est bien plus abordable. Par ailleurs nous proposons des bourses pour aider les meilleurs étudiants azerbaïdjanais qui choisissent la France: cette année grâce à un programme de bourses cofinancées avec la compagnie Total, à une meilleure promotion du dispositif des bourses Eiffel, et à une augmentation du nombre de bourses de notre ambassade, ce seront environ 30 étudiants azerbaïdjanais qui seront ainsi sponsorisés par notre pays. Enfin il convient de mentionner le très grand succès de l’Université franco-azerbaidjanaise de Bakou (UFAZ) qui, ouverte depuis 4 ans, réunit plus de 500 étudiants sur place et qui inaugure à la rentrée de septembre les niveaux master (Génie Chimique, Informatique appliquée, et Géosciences).
Comment se porte le cinéma français en Azerbaïdjan ?
- Nous avions prévu de proposer en avril dernier un « Festival du cinéma francophone » qui a dû être annulé en raison de la pandémie. En partenariat avec plusieurs ambassades, nous allions proposer au public azerbaïdjanais une quinzaine de films venus de plusieurs pays représentant la grande diversité de la famille des pays de la Francophonie (tant d’Europe, du Monde arabe que de l’Amérique latine). Nous espérons que nous pourrons reprogrammer ce festival à l’automne si les salles de cinéma ré-ouvrent. Pour le reste, je vous ai parlé de l’opération « IF cinéma à la carte » et je souhaiterais vous annoncer que la France sera le pays mis à l’honneur lors du « Festival ANIMAFILM » cet automne. Il s’agit du festival azerbaïdjanais du cinéma d’animation qui fêtera sa 3ème édition sous l’animation de son excellent jeune directeur, Rashid Aghamaliyev.
Un mot sur le troisième Festival international des films d'animation ANIMAFILM qui se tiendra à Bakou ?
- Nous présenterons à cette occasion une gamme riche et variée de la production française dans le domaine de l’industrie du cinéma d’animation qui est l’une des plus célèbres au monde et des plus innovantes. Voici quelques-uns des films que nous proposerons à cette occasion : « Ernest et Célestine » sur l’histoire d’amitié entre une petite souris et un ours, et « Dilili à Paris » qui nous raconte les aventures d’une petite fille franco-kanake, dans le Paris de la Belle Époque. Par ailleurs nous offrirons au lauréat de la compétition du « Meilleur court-métrage d’animation azerbaïdjanais » un séjour en 2021 à la prochaine édition du plus important festival international du cinéma d’animation, le célèbre Festival d’Annecy en France, qui existe depuis 60 ans déjà. Nous sommes très heureux de nous associer à ce festival ANIMAFILM qui monte en puissance en Azerbaïdjan.
Comment est venu ce projet ?
- L’Institut français d’Azerbaïdjan s’est associé à la seconde édition du festival ANIMAFILM en octobre 2019, en soutenant d’une part la venue d’une réalisatrice française pour réaliser des ateliers de cinéma d’animation à destination des plus jeunes et en proposant d’autre part quelques courts-métrages d’animation français. Lors de cette première participation nous avons échangé avec Rashid Aghamaliyev, le directeur d’ANIMAFILM, ainsi est né le projet de renforcer notre participation pour l’édition 2020 et de réaliser un focus sur le cinéma d’animation français. En effet, la France est un des pays pionniers du films d’animation et jouit d’une excellente réputation dans le domaine avec des écoles à la pointe.
L’intérèt pour la litterature française connait donc un renouveau en Azerbaïdjan ?
- A ma connaissance, la littérature française n'a jamais cessé d'être une référence essentielle pour la culture azerbaïdjanaise. Je suis souvent impressionné par l'érudition de mes interlocuteurs azerbaïdjanais en matière de littérature française, tant classique que moderne. Je ne pense pas que l'on puisse considérer que la littérature française ait perdu de son attrait un jour. Les grandes maisons d'édition de Bakou publient une quantité significative d'ouvrages français. Nombre d'auteurs français contemporains sont connus du grand public et très appréciés.
L'Institut Français s'efforce d'entretenir l'attrait du public pour la littérature contemporaine par l'attribution de bourses de soutien à la publication d'ouvrages récents à succès.
En 2018 et 2019, l'IFA a ainsi soutenu la publication de plusieurs ouvrages français par l'éditeur Qanun, dont « le Capital du 21ème siècle » de Thomas Piketty et « Chanson Douce » le roman de Leïla Slimani pour lequel elle a remporté en 2016 le Prix Goncourt.
Par ailleurs, si l'attrait des azerbaïdjanais pour la littérature française n'a probablement jamais faibli, il convient de noter que la littérature française s'intéresse aussi à l'Azerbaïdjan. Après « le Voyage au Caucase » d'Alexandre Dumas, ou « les Derniers jours à Bakou » d'Olivier Rollin, l'écrivain Jean Christophe Rufin vient de publier le 3ème opus d'une série policière, intitulé « Le flambeur de la Caspienne », et qui se déroule essentiellement à Bakou et au Nahitchevan. J'espère que le roman de cet auteur très populaire éveillera chez mes compatriotes l'envie de visiter ce beau pays, si hospitalier et mystérieux à la fois.
Propos recueillis par Samid NASIROV