LA RÉINSTALLATION DES HABITANTS DU KARABAKH, CHASSÉS PAR L’OCCUPATION ARMÉNIENNE, A DÉJÀ COMMENCÉ
Le première fois que je suis allé dans ce qu’on appelait le Haut-Karabakh, c’était juste après la fin de la guerre de 44 jours qui, en 2020 avait permis à l’armée azerbaïdjanaise de récupérer les territoires – un cinquième du pays – qui avaient été occupés pendant presque 30 ans par les Arméniens. En 1992-1993, l’armée d’Erevan entrait en Azerbaïdjan pour s’emparer du Haut-Karabakh et des régions environnantes. Cette région était habitée d’Azerbaïdjanais qui, comme tous les azerbaïdjanais, possédaient des origines différentes. Certains étaient musulmans, issus de l’ancien peuple tatar, d’autres chrétiens orthodoxes, d’autres arméniens. Tous les habitants non arméniens furent chassés ou massacrés, comme à Khodjaly. Selon l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, environ 650 000 Azerbaïdjanais ont dû fuir le Karabakh et sont devenus des réfugiés à l’intérieur de leur propre pays, temporairement installées dans des dortoirs, des sanatoriums, des camps de pionniers, des bâtiments inachevés et des bureaux administratifs à travers l’Azerbaïdjan.
Les Arméniens avaient une autre version : ce territoire leur appartenait, ses maisons étaient leurs maisons, et ils étaient simplement venus récupérer leur bien. Alors, j’avais voulu voir de mes propres yeux quelles vérités étayeraient les propos des uns ou, au contraire, des autres.
Comment peut-on prétendre qu’une terre est la sienne si, en y pénétrant, on s’acharne à détruire tout ce qui s’y trouve jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien. C’est à Agdham que je fis mes premiers pas dans le Karabakh. Il n’y avait eu là aucun combat. Pourtant, de la ville touristique et animée de l’ère soviétique, il ne demeurait que ce qu’on a appelé l’Hiroshima du Caucase : une étendue d’amas de pierres. Pareil à Fuzuli, à Latchin. Les Arméniens, pas assez nombreux pour peupler « leur » territoire, avaient préférer le détruire pour qu’aucun Azéri ne puisse un jour s’y réinstaller.
A Choucha, l’ancienne « perle du Caucase », le professeur Elchin Ahmedov, historien né dans cette jolie ville perchée au sommet d’un rocher, qui fut jadis le creuset de la vie artistique de la Transcaucasie, me désigna un terrain vague envahi d’herbes folles : « Ici se trouvait notre maison. Elle avait plus de deux cents ans, des murs d’un mètre d’épaisseur, un jardin, et un puits au milieu. Comme beaucoup d’entre nous, nous ne retrouverons jamais nos maisons dont les solides pierres ont été démontées une par une pour servir de matériau de construction aux envahisseurs, mais au moins nous espérons tous retourner sur nos terres ».
Des hauteurs de Choucha, aux abords du plateau de Jidir, on pouvait alors apercevoir les lieux encore occupés par les Arméniens, alors protégés par les « forces de la paix » russes. Le promontoire était interdit d’accès et protégé par des soldats azerbaïdjanais. Mais à ma seconde visite, quelques semaines plus tard, j’ai pu y pointer mon téléobjectif. Il s’agissait d’un voyage plus officiel, et la présence à nos côtés d’une personnalité azerbaïdjanaise de premier plan avaient intimidé les soldats qui me laissèrent filmer, au loin, la fameuse « capitale » de la « République du Haut-Karabakh », un état fantôme reconnu par ses seuls occupants : Stepanakert. « Stepanakert est le nom donné par les Arméniens à Khankendi, l’ancienne capitale du Karabakh. Les Arméniens ont changé tous les noms de lieux. Comme si un nouveau nom valait titre de propriété. «Je suis né dans cette ville, et moi et ma famille en avons été chassés. Mais nous reviendrons » me prévint un azerbaïdjanais qui faisait partie de la visite.
En 2023, la ville a été reprise, sans violence, par les Azerbaïdjanais. Les Arméniens, poussés par les nationalistes qui y régnaient jusque là, ont préféré quitter Khankendi.
Resurrection
Depuis, le gouvernement azerbaïdjanais s’est donné comme priorité de redonner vie à cette province dévastée et vandalisée. Choucha, Fuzuli et, à partir de septembre, Khankendi sont en train renaître de leurs ruines. Les routes et les voies ferrées sont reconstruites, des nouveaux ponts élevés, les adductions d’eau, les lignes électriques refaites. Là où il ne restait plus que les vestiges, de nouveaux immeubles sont apparus, ainsi que des hôtels, des centres commerciaux, des jardins. Et les anciens habitants ont commencé à emprunter le chemin du retour.
En août 2024, le programme, formalisé par un décret présidentiel en novembre 2022, a déjà réinstallé environ 8 000 anciens déplacés internes dans au moins cinq villes et de nombreux villages.
Les autorités prévoient de réinstaller environ 40 000 personnes d’ici 2026, près de 7 milliards de dollars ayant déjà été dépensés pour les travaux de reconstruction au Karabakh depuis novembre 2020.
En mai, le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev a annoncé le calendrier de réinstallation de Khankendi lors d’une rencontre avec des familles réinstallées à Khodjaly, cette ville du Karabakh tristement célèbre pour le massacre brutal de plus de 613 civils par les forces arméniennes dans la nuit du 26 février 1992, qui a été reconnu par une douzaine d’États comme un acte de génocide.
24 familles sont déjà rentrées chez elles, à Khodjaly , 32 ans après. La première phase de la reconstruction de la ville comprend deux programmes : l’un couvrant 167 hectares et l’autre 18 hectares. Des travaux de construction, de réparation, de restauration et d’aménagement paysager sont en cours sur les 167 hectares, qui comprennent 140 maisons individuelles, 48 maisons de style cottage et 110 appartements répartis dans neuf bâtiments. Toutes les lignes de communication souterraines ont été posées et les connexions sont établies au fur et à mesure des constructions. 90 % des travaux de communication sont terminés. Sur la zone de 18 hectares, des travaux sont en cours sur 92 maisons de style finlandais.
« Les premiers à déménager seront les étudiants et leurs professeurs », a déclaré le président Ilham Aliyev. « ainsi,l’Université du Karabakh pourra commencer ses activités ». L’Université du Karabakh a été créée à Khankendi par décret présidentiel fin 2023. Elle ouvrira au cours de l’année universitaire 2024-2025 et accueillera environ 1 200 étudiants dans un premier temps, puis environ 5 000 en 5 ans.
En mai, une soixantaine de familles azerbaïdjanaises ont été réinstallées dans la ville de Choucha. Selon Kerim Kerimli, l’un des premiers habitants à s’être installés dans la ville après la construction des complexes résidentiels à Choucha, ce sont d’abord des familles des soldats tombés pendant la guerre et des vétérans qui ont été réinstallées dans la ville, suivies de familles vivant dans des conditions difficiles dans des dortoirs, des sanatoriums, des bâtiments inachevés ou des locaux insalubres. Choucha compte désormais des magasins de trois grandes chaînes, ainsi que quatre hôtels, un dortoir, un restaurant, des musées, la réserve nationale de Choucha et des bâtiments gouvernementaux.
Kerim Kermili se réjouit qu’une clinique et une maternité sont désormais opérationnelles dans la ville, et que de nouvelles installations médicales sont en construction. Il est prévu qu’une école à Choucha, conçue pour environ 1 000 élèves, commence à fonctionner en septembre.
Le président Aliyev a indiqué en mai que la réinstallation commencerait également en septembre dans la ville fantôme d’Aghdam.
Le plus grand défi pour la réinstallation du Karabakh reste les mines terrestres. On estime que 1,5 million de mines terrestres ont été posées sans discrimination sur le territoire du Karabakh par l’Arménie pendant le conflit. Les mines rendent difficile pour l’Azerbaïdjan de reconstruire les communautés et de réinstaller les civils dans une zone d’environ 12 000 km², soit quatre fois la taille du Luxembourg.
Au Karabakh, 147 988 hectares sont toujours classés comme zones hautement contaminées, tandis que 675 570 hectares sont considérés comme des zones à risque moyen et faible. Selon Vugar Suleymanov, président de l’ANAMA, l’agence nationale de lutte contre les mines, à ce jour, 155 400 hectares de terres contaminées ont été déminées depuis 2020. Cela ne représente qu’environ 13 % du territoire total contaminé.
« Le fait que ces mines aient été posées par l’Arménie de manière indiscriminée et parfois sans aucune nécessité militaire, sans marquage ni clôture, rend le déminage plus difficile et continue de faire des victimes et de constituer une menace majeure pour les civils innocents », a déclaré Elchin Amirbayov, représentant de l’Azerbaïdjan auprès du président pour les missions spéciales, lors d’un entretien au magazine EU Today.
On rappelle que la pose de mines anti-personnel est interdite par la Convention de Genève. Ces pièges ont été installés par les forces arméniennes lors de leur retrait du Karabakh. Elles visent principalement les civils dans le but d’empêcher leur retour.
Dans le cadre du « Grand Retour », qui vise à réintégrer plus de 100 000 rapatriés au Karabakh d’ici la fin de 2026, le gouvernement azerbaïdjanais a alloué plus de 11 milliards de dollars à la reconstruction pour la période 2022-2026.
Signaux de cette résurrection, la ville de Choucha a été désignée comme capitale du monde islamique pour 2024, et le festival de musique Khari Bulbul a de nouveau pu être organisé sur la plaine de Jidir. L’aéroport de Fuzuli est en service depuis 2021, et les aéroports de Zangilan et de Latchin vont ouvrir avant la fin de l’année. Enfin, le 1er septembre, les habitants du Karabakh retrouvé vont voter de chez aux élections législatives.
Jean-Michel Brun
Photo : Nouveaux quartiers de Choucha